Travail décent pour les travailleurs domestiques: vers de nouvelles normes internationales

Le travail qui consiste à s’occuper d’une maison et à l’entretenir est l’une des professions les plus importantes pour des millions de travailleurs, le plus souvent des femmes, à travers le monde. Selon un nouveau rapport du BIT1 préparé pour la session de juin 2010 de la Conférence internationale du Travail, le travail domestique absorbe une part conséquente de la population active: elle varie de 5 à 9 pour cent de l’emploi total dans les pays en développement et atteint jusqu’à 2,5 pour cent dans les pays industrialisés. Manuela Tomei, directrice du Programme sur les conditions d’emploi et de travail du BIT, s’intéresse aux conditions de travail de cette main-d’œuvre en plein essor mondial et aux moyens de les améliorer.

GENÈVE – Les travailleurs domestiques font la cuisine ou le ménage, s’occupent des enfants, de personnes âgées ou handicapées, et même des animaux domestiques. Alors que les femmes, souvent immigrées, constituent l’écrasante majorité de ces employés de maison, les hommes peuvent également travailler au domicile de particuliers en tant que gardiens, jardiniers ou chauffeurs.

Les travailleurs domestiques peuvent être salariés par un ou plusieurs employeurs – soit à plein temps soit à temps partiel. Ils peuvent aussi travailler à leur compte, exerçant un contrôle strict de leurs conditions de leur travail, ou fournir des services chez des particuliers tout en étant rémunérés par des institutions agréées. Les travailleurs domestiques, en particulier les immigrés travaillant à plein temps, peuvent aussi vivre au domicile de leur employeur.

La composition de la main-d’œuvre domestique varie d’un pays à l’autre et au fil du temps, mais les effectifs ont grossi partout. L’hypothèse a été avancée que l’essor du travail domestique dans les pays industrialisés allait de pair avec l’aggravation des inégalités de revenus1, alors que dans les économies agraires/ informelles, à faible revenu, le travail domestique avait gagné en importance, en particulier dans les pays ravagés par la pandémie de VIH/sida.

L’évolution de l’organisation du travail et l’intensification du travail, la hausse marquée du taux d’activité des femmes qui a réduit leur disponibilité pour les tâches domestiques non rémunérées, sont à l’origine de cette hausse. De surcroît, le vieillissement des sociétés, l’accélération des migrations nationales et internationales des femmes et le déclin de la prise en charge par l’Etat des services sociaux et de soins ont rendu de plus en plus difficile pour les familles de concilier travail rémunéré et responsabilités familiales. Par conséquent, le recours au travail domestique a augmenté partout dans le monde comme stratégie privée pour contrer les tensions croissantes liées à l’équilibre travail-vie familiale.

Les déficits de travail décent du travail domestique

En dépit de sa signification sociale et économique grandissante, le travail domestique a toujours été et demeure l’une des formes d’emploi les plus précaires, mal rémunérées, dangereuses et sans protection. Les abus et l’exploitation y sont monnaie courante, en particulier en ce qui concerne les enfants et les travailleurs migrants. En raison de leur jeune âge ou de leur nationalité, et du fait qu’ils sont généralement logés chez leur employeur, ils sont particulièrement vulnérables à la violence verbale et physique. Les médias diffusent fréquemment des reportages traitant de ces violences, y compris des suicides ou des homicides dans le pire des cas.

Les graves déficits de travail décent auxquels sont confrontés les travailleurs domestiques résultent de leur vulnérabilité juridique et sociale. Ils sont exclus soit de jure soit de facto de la protection effective que confèrent la législation nationale du travail et les régimes de sécurité sociale – aussi bien dans les pays industrialisés qu’en développement. Les employées de maison par exemple ont un accès limité aux mesures de protection qui pourraient leur garantir des grossesses et des accouchements sans risque, un revenu de remplacement pendant leur congé maternité et le droit de retrouver leur emploi à leur retour. Dans certains pays, la loi autorise le licenciement des employées de maison en cas de grossesse. Ailleurs, cette pratique est illégale, mais des anecdotes personnelles montrent que des licenciements pour ce motif ont toujours cours et qu’ils sont plus fréquents parmi les travailleuses domestiques que dans les autres catégories d’employées.

Un autre cas flagrant est l’exclusion des travailleurs domestiques du champ de la législation relative à la santé et à la sécurité au travail dans la plupart des pays, parce que le foyer est perçu à tort comme sûr et sans danger. L’accès aux prestations de sécurité sociale est plus facilement accordé dans le cadre de régimes généraux de protection sociale, universels et égalitaires, offrant des prestations de santé et de pension pour les personnes âgées, mais la couverture de l’assurance chômage est un droit que peu de pays attribuent aux travailleurs domestiques.

Pour que le travail décent soit une réalité pour eux, leurs caractéristiques spécifiques doivent être reconnues et comprises. Il est en effet courant que le droit commun du travail ou de la sécurité sociale élude les caractéristiques particulières de la relation de travail domestique et les abandonne au bon vouloir de l’employeur individuel.

La spécificité du travail domestique

A bien des égards, le travail domestique se distingue des autres types d’occupations.

Premièrement, le travail domestique ne se déroule pas dans une usine ni un bureau, ni dans la rue, ni dans une ferme, mais à domicile. Il échappe de ce fait au champ d’application des mécanismes conventionnels de contrôle comme les services d’inspection du travail qui se heurtent à des obstacles juridiques et administratifs pour inspecter des locaux privés.

En outre, il implique un degré de proximité avec l’employeur et sa famille, ainsi qu’un attachement émotionnel, en particulier lorsqu’il s’agit de garde d’enfants ou de personnes âgées. Alors que l’établissement de liens de confiance mutuelle et d’affection est gratifiant tant pour le travailleur que pour l’employeur, cela peut néanmoins diluer les frontières de la relation de travail et se traduire par des traitements arbitraires, surtout si une législation appropriée fait défaut.

Deuxièmement, le travail domestique correspond aux tâches non rémunérées traditionnellement exécutées par les femmes sans percevoir de salaire; il est par conséquent perçu comme dépourvu de valeur et étranger à l’économie «productive». Cela explique pourquoi les travailleurs domestiques gagnent généralement de faibles salaires, qu’ils sont souvent sous-payés ou pas payés à intervalles réguliers. De plus, le fait que cette profession soit précisément exercée par des femmes issues de catégories défavorisées, avec une éducation moins longue que la moyenne, maintient une pression à la baisse sur les salaires.

Troisièmement, les travailleurs domestiques ont un pouvoir de négociation limité parce qu’ils forment une main-d’œuvre «invisible» (travaillant au sein du foyer, à l’abri des regards) et isolée, sans collègues vers qui se tourner pour trouver du soutien ou des conseils sur ce qui peut être considéré comme une demande raisonnable ou un traitement inacceptable. Quant aux travailleurs immigrés, leur isolement peut être plus grand encore parce qu’ils ne maîtrisent souvent pas la langue nationale ou locale, qu’ils n’ont ni famille ni réseau de soutien sur lesquels s’appuyer.

Tout cela, en plus d’une faible rémunération et de demandes souvent imprévisibles au sein du foyer, augmente la difficulté pour les travailleurs domestiques de se mobiliser et de s’organiser pour obtenir de meilleures conditions de travail. Le domicile étant le lieu de travail, les stratégies d’organisation traditionnelles des syndicats sont inadaptées pour faire face à la condition particulière des employés de maison. Même quand les travailleurs domestiques parviennent à s’organiser, la législation nationale peut créer des obstacles supplémentaires à leur droit d’adhérer à des conventions collectives au motif que, pour ce qui est de la syndicalisation, l’employeur ne peut être considéré comme une «entreprise» puisque le travail domestique n’est ni commercial ni productif.

Toutes ces caractéristiques renforcent la perception du travail domestique comme n’étant pas un «vrai» travail, contribuant ainsi à le sous-évaluer et à le négliger davantage.

Une évolution encourageante sur le plan juridique et politique s’est néanmoins opérée dans un certain nombre de pays qui ont essayé de gérer la spécificité du travail domestique en élaborant des réglementations adaptées à son environnement singulier. Par exemple, des pays tels que la Belgique et la France ont cherché à garantir le paiement d’un salaire minimum et à améliorer les droits des travailleurs domestiques en matière de sécurité sociale, en facilitant et en allégeant le coût pour les employeurs de se conformer à la loi grâce à des procédures de paiement simplifiées et à des incitations fiscales (voir article consacré à ce sujet).

Vers des normes internationales du travail relatives au travail domestique

Au plan international, la situation ne diffère pas beaucoup. Les normes internationales du travail en vigueur n’offrent pas une orientation appropriée sur la manière d’assurer une protection réelle aux travailleurs domestiques, soit parce qu’elles ne parviennent pas à traiter le contexte spécifique dans lequel se déroule le travail domestique, soit qu’elles autorisent explicitement leur exclusion. Cela a conduit le Conseil d’administration du BIT à inscrire une question sur le travail décent des travailleurs domestiques à l’agenda de la 99e session (2010) de la Conférence internationale du Travail (CIT) en vue d’adopter une norme. La Conférence va traiter cette question selon la procédure de double discussion. Cela signifie qu’en 2010 la CIT sera appelée à débattre du caractère souhaitable et de la forme d’un possible instrument international sur ce sujet, mais que la décision finale ne sera prise qu’en juin 2011.

Pour être efficace, une norme internationale spécifique pour les travailleurs domestiques devra réaffirmer les protections auxquelles les travailleurs domestiques ont déjà droit aux termes des normes de l’OIT existantes, tout en reconnaissant leur relation de travail spéciale et en leur offrant des normes spécifiques pour faire de ces droits une réalité.

La décision de discuter une telle norme sur le travail décent pour les travailleurs domestiques reflète l’engagement de l’OIT, tel que stipulé dans l’Agenda pour le travail décent, de réintégrer des travailleurs qui furent un temps marginalisés au sein de son mandat général. Elle reconnaît que les travailleurs domestiques sont de véritables travailleurs et prend en compte le fait que dans l’économie mondialisée l’immense majorité de ces travailleurs sont des femmes.

1 R. Milkman, E. Reese et B. Roth: “La macrosociologie du travail domestique rémunéré”, extrait de Travail et professions, vol. 25, n° 4, pp. 483-507.