91e session de la Conférence internationale du Travail: La Conférence de 2003 a abordé un nouvel agenda social

L'éradication de la pauvreté, l'introduction de nouveaux documents d'identité pour les gens de mer et l'adoption de diverses mesures destinées à améliorer le sort des travailleurs sont quelques-unes des grandes questions qui ont été au cœur des travaux de la 91e session de la Conférence internationale du Travail, réunie en juin dernier à Genève. Les délégués se sont également penchés sur la question des conditions de travail et, à l'issue de débats passionnés, ils ont adopté des mesures totalement novatrices pour améliorer la sécurité et la santé au travail.

GENÈVE - Même si le thème principal de la 91e session de la Conférence internationale du Travail concernait les différents moyens de s'affranchir de la pauvreté par le travail, ses travaux ont également porté sur d'autres questions. Ainsi, elle a adopté une nouvelle convention internationale sur les documents d'identité des gens de mer, qui devrait permettre, sans entraver le commerce mondial, de renforcer la sécurité de ces travailleurs tout en garantissant leur liberté de mouvement.

Cette nouvelle norme internationale sur l'identification des gens de mer vise à la fois à améliorer la sécurité à l'échelon international et à assurer que l'ensemble des 1,2 million de gens de mer actifs dans le monde jouissent de la liberté de mouvement nécessaire à leur bien-être et à leurs activités professionnelles. Cette mesure a également pour but de protéger le commerce international, dont une grande partie s'effectue par voie maritime.

La nouvelle convention de l'OIT sur les pièces d'identité des gens de mer, qui remplace la convention no 108 adoptée en 1958, prévoit un système d'identification plus rigoureux pour toutes les personnes travaillant à bord de navires ou de paquebots. Une de ses principales caractéristiques, qui a fait l'objet d'un accord à l'unanimité, est son format biométrique basé sur une empreinte digitale. Selon la résolution adoptée en même temps que la nouvelle convention, le Directeur général du BIT doit prendre des mesures urgentes pour mettre au point "une norme biométrique interopérable au niveau international, et ce en coopération avec notamment l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI)". Les Etats qui ratifieront cette convention devront disposer d'une base de données appropriée, accessible aux fonctionnaires compétents de tous les pays, sans déroger, bien sûr, au principe du respect des libertés individuelles. Certaines dispositions de la nouvelle convention visent à simplifier les procédures auxquelles doivent se soumettre les gens de mer lorsqu'ils souhaitent prendre des jours de congés à terre ou lors de leurs opérations de transit et de transfert. Pour les congés à terre en particulier, la convention prévoit que les gens de mer ne seront plus obligés d'obtenir un visa.

Parmi les autres questions importantes débattues par les représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des 177 Etats membres de l'OIT, il convient de mentionner:

  • Une nouvelle stratégie globale destinée à promouvoir une action mondiale "cohérente et ciblée" pour réduire les accidents et maladies professionnels. Selon les statistiques du BIT, deux millions de personnes meurent chaque année de causes liées au travail, dont 354 000 d'accidents du travail. Environ 80 pour cent de ces accidents mortels touchent les hommes, qui constituent la majorité des travailleurs employés dans les professions et les secteurs les plus dangereux, à l'exception de l'agriculture. Dans ce secteur, ce sont les femmes les plus nombreuses, notamment dans les pays en développement, où elles sont souvent exposées à des risques très élevés, comme, par exemple, quand elles doivent épandre des pesticides hautement toxiques. De plus, on recense chaque année 270 millions de personnes blessées dans un accident du travail et 160 millions de cas de maladies professionnelles. La nouvelle stratégie recommandée par l'OIT repose sur deux éléments essentiels:

    • Une culture de la sécurité et la santé axée sur la prévention, qui devrait faire l'objet d'un accord entre les partenaires sociaux de l'OIT en vue de la mise en place d'un système qui définisse les droits, les responsabilités et les devoirs de chacun et accorde une priorité absolue à la prévention.
    • Un ensemble intégré de moyens techniques fournis par l'OIT en matière de sécurité et santé au travail, qui devrait avoir pour objectifs, d'une part, d'encourager les Etats membres à prendre davantage de mesures dans ce domaine et, d'autre part, de pousser les gouvernements à recourir systématiquement aux programmes de coopération technique destinés à les aider à créer et à mettre en œuvre un programme national d'action, et ce en étroite collaboration avec les organisations d'employeurs et de travailleurs.

  • L'OIT a été chargée de préparer une recommandation sur la relation de travail qui mette l'accent sur les relations de travail "déguisées", c'est-à-dire les cas de travailleurs dont le statut de salarié est déguisé ou caché. Selon les statistiques du BIT, ce sont surtout les femmes qui sont victimes de ce type de relation de travail, dans lequel elles sont privées de toute protection sociale. La recommandation de l'OIT devra donc prévoir un mécanisme grâce auquel toute personne impliquée dans une relation de travail puisse bénéficier des mesures de protection sociale en vigueur dans le pays. Néanmoins, la future recommandation "ne devra pas faire obstacle aux accords contractuels à caractère authentiquement commercial conclus entre des parties indépendantes".
  • La Conférence a tenu une séance plénière spécialement consacrée à la situation des travailleurs dans les territoires arabes occupés. Au cours des débats, les intervenants ont insisté sur la nécessité de poursuivre le programme de coopération technique de l'OIT, afin de stimuler la création d'emplois, de lutter contre la pauvreté et de renforcer le rôle des partenaires sociaux et du ministère du Travail de l'Autorité palestinienne. Ils ont également exprimé l'espoir que la proposition de paix contenue dans la fameuse "feuille de route" puisse relancer les efforts politiques pour restaurer la paix dans la région. Les discussions ont également permis de souligner le rôle joué par l'OIT dans la promotion d'un processus de dialogue destiné à rétablir la confiance entre tous les protagonistes de la région. Par ailleurs, un grand nombre de délégués ont réaffirmé leur soutien à l'initiative de l'Organisation de créer "un Fonds palestinien pour l'emploi et la protection sociale".
  • Au cours d'une des séances de la Conférence, les délégués ont débattu pour la première fois sur une nouvelle norme internationale du travail relative au développement des ressources humaines. Ce nouvel instrument est appelé à remplacer la recommandation n°150 de l'OIT, adoptée en 1975. La commission de la Conférence chargée de cette question a montré que le développement des ressources humaines constitue un élément clé des mesures nécessaires pour promouvoir la formation permanente et l'employabilité. Elle a donc invité les partenaires sociaux à favoriser l'adoption de ces mesures et a demandé plus spécifiquement aux gouvernements, aux entreprises du secteur privé et aux individus de renouveler leur engagement en faveur de la formation permanente.
  • Le rapport global du BIT L'heure de l'égalité au travail a fait l'objet de débats approfondis dans le cadre du suivi de la Déclaration des principes et droits fondamentaux au travail. En effet, malgré tous les efforts déployés ces dernières décennies, les femmes et les membres des minorités raciales et ethniques sont encore loin de bénéficier de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement. De nombreux délégués ont d'ailleurs fait observer que la discrimination est l'une des causes principales de la pauvreté et que l'on assiste actuellement à l'émergence de nouvelles formes de discrimination, fondées sur l'âge, l'orientation sexuelle, l'éventuelle séropositivité et divers handicaps. Ils ont donc insisté sur la nécessité de créer un cadre juridique pour la lutte contre la discrimination. Ils ont également souligné l'importance de l'égalité sur le lieu de travail pour les communautés, les entreprises et les autres acteurs de la vie socio-économique.
  • La Conférence a adopté le Programme et budget de l'OIT pour la période biennale 2004-2005, qui s'élève à plus de 529,6 millions de dollars.
  • Une Campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous a été lancée afin de créer un vaste réseau de partenariats entre gouvernements, organisations d'employeurs et de travailleurs, organisations internationales, pays donateurs, organismes de sécurité sociale et acteurs de la société civile. Cette campagne a pour but d'obtenir le soutien de tous ces partenaires en vue d'aider les différents pays à développer leur système de sécurité sociale par le biais de mesures concrètes et du dialogue social. Elle contribuera également à consolider les actions déjà entreprises dans une quarantaine de pays en vue d'élargir la couverture de leur système de protection sociale. (Voir article de la page 16 sur les systèmes de micro-assurance au Népal). Un site Internet spécialement consacré à cette campagne est disponible à l'adresse www.ilo.org/coverage4all.

Nous pouvons éradiquer la pauvreté, si nous en avons la volonté

"L'économie mondiale dispose de suffisamment de ressources pour atteindre l'objectif de l'éradication de la pauvreté dans le monde entier", a déclaré devant la Conférence internationale du Travail le Président sud-africain, Thabo Mbeki. Il a ensuite demandé pourquoi cela n'est pas fait.

Après avoir cité l'exemple de l'Union européenne, qui procède à des transferts internes de ressources "pour assurer le développement équitable et équilibré de toutes les communautés qui la composent", le Président sud-africain a plaidé en faveur de l'adoption de mesures similaires à l'échelon international. "Certains problèmes posés par la pauvreté et le sous-développement ne pourront être résolus que par le biais d'un processus délibéré de transfert de ressources des riches vers les pauvres, et ce au niveau mondial", a-t-il expliqué.

"La Conférence internationale du Travail et l'OIT occupent une place importante parmi les forces qui doivent s'unir au niveau mondial pour mener ce combat contre la pauvreté", a souligné le Président Mbeki. Il s'est d'ailleurs réjoui que l'OIT "soit son compagnon d'armes dans la bataille visant à éradiquer la pauvreté dans notre pays, dans le reste de l'Afrique et dans le monde entier."

Journée mondiale contre le travail des enfants

Tous les pays du monde doivent "se donner la main" pour lutter contre le trafic des enfants, véritable industrie qui, en réduisant des millions d'enfants à une vie d'esclave, rapporte des milliards de dollars à des réseaux de trafiquants. C'est en ces mots que la Reine Rania de Jordanie s'est adressée à la Conférence internationale du Travail le 12 juin, à l'occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants. "La toute première cause de la traite des êtres humains, c'est la misère", a signalé la Reine Rania en précisant que les enfants qui en sont victimes sont envoyés "aux quatre coins du monde".

La Reine Rania a donc exhorté les gouvernements à "prévenir ce fléau, à protéger les enfants et à poursuivre en justice les trafiquants". De son côté, le Directeur général du BIT, Juan Somavia, a qualifié le trafic des enfants "d'atteinte à la dignité humaine et d'affront pour nos valeurs communes". Selon les statistiques du BIT, environ 1,2 million d'enfants par an se retrouvent piégés dans des réseaux de trafiquants.

Lutter contre la misère, c'est lutter contre la violence

"Il faut absolument remporter la guerre contre la misère si l'on veut surmonter les divisions et le désespoir qui alimentent la violence dans le monde", a déclaré le Roi Abdallah II de Jordanie devant la Conférence internationale du Travail.

"Si l'on décide d'instaurer un nouveau partenariat à l'échelle mondiale, celui-ci doit être accompagné de 'mesures concrètes', notamment un meilleur accès aux marchés, l'abolition des barrières douanières et l'adoption de politiques commerciales cohérentes", a indiqué le souverain hachémite. Il a ajouté que les pays développés "doivent accroître le montant de leur aide directe, encourager les investissements en provenance de l'étranger, faciliter les transferts de technologies et réduire le poids de la dette extérieure des pays pauvres". De leur côté, les pays en développement "doivent s'engager à appliquer des politiques économiques sensées, assorties de systèmes de protection adaptés et basées sur une bonne gouvernance et le respect des lois".

Après avoir déclaré que "le travail et les travailleurs constituent la clef de voûte de la prospérité mondiale", le Roi Abdallah II a lancé un appel en faveur d'un "développement socio-économique durable qui permette à chaque être humain de vivre dignement". Il s'agit là, a-t-il dit, d'un facteur clé pour lutter contre les mouvements extrémistes, tout comme le serait une résolution équitable du conflit arabo-israélien et de la question palestinienne. Il est nécessaire, a-t-il ajouté, "de reconstruire et stabiliser au plus vite la région du Moyen-Orient", qui vit actuellement "un tournant décisif". Puis le souverain jordanien a indiqué que "le moment est venu d'unir toutes nos forces pour soutenir le processus qui permettra de rendre l'Iraq à un gouvernement irakien crédible représentant tous les citoyens de ce pays".

Les belles paroles ne suffisent pas, il faut agir

En visite au siège du BIT à la veille de la Conférence internationale du Travail, le Président brésilien, Luiz Inácio da Silva ("Lula"), a critiqué le monde industrialisé pour son manque de cohérence "entre le discours et la pratique". Le nouveau chef d'Etat brésilien, qui a été pendant longtemps un dirigeant syndical réputé pour sa détermination, a précisément choisi l'OIT pour prononcer son premier discours devant une institution des Nations Unies.

Dans son allocution, le Président Lula a fait remarquer que l'on constate au niveau mondial "un déficit croissant en matière de solidarité et de coopération économique, ainsi que dans les domaines de la protection de l'environnement et de la promotion de la justice et de la paix". Face à cette réalité, le Président Lula s'est dit convaincu de la nécessité de rénover les organisations internationales. Il est nécessaire, a-t-il dit, de "réformer le Conseil de sécurité des Nations Unies et de donner un pouvoir accru au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC)".

"Nous devons tous contribuer à préserver et à renforcer le multilatéralisme, quel que soit notre pouvoir économique, financier ou militaire", a ajouté le Président Lula. "Pour cela, nous devons réduire le décalage énorme qui existe entre les textes des accords internationaux et leur application dans la pratique." Au cours de cette visite, le président brésilien et le Directeur général du BIT, Juan Somavia, ont signé un protocole d'accord établissant un programme de coopération entre le Brésil et l'OIT destiné à promouvoir diverses mesures en faveur du "travail décent". Il s'agit principalement de mesures visant à favoriser les créations d'emplois, notamment pour les jeunes, le micro-crédit, l'amélioration des systèmes de sécurité sociale, le tripartisme et le dialogue social, mais aussi de mesures visant à lutter contre le travail et l'exploitation sexuelle des enfants, le travail forcé et la discrimination sur le lieu de travail.

Patriote et gentleman

Michael Christopher Wamalwa, Vice-président du Kenya depuis 2002 et Président de la 91e session de la Conférence internationale du Travail en juin dernier, est décédé le 23 août à Londres à l'âge de 58 ans. M. Wamalwa, que le Président kenyan Kibaki a qualifié de "patriote et gentleman", avait reçu les félicitations du Directeur général de l'OIT, Juan Somavia, pour la façon admirable dont il avait présidé la Conférence. M. Wamalwa avait mené une brillante carrière universitaire et politique après des études de droit à la London School of Economics et de criminologie à Cambridge. Il est l'auteur de plusieurs publications sur le droit international.