Bilan saisissant des risques du travail Des millions de morts et des milliards de dollars perdus, selon le BIT

Travailleurs, employeurs et gouvernements célèbrent la Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail. Dans un nouveau rapport, qui traite de la question et dégage un certain nombre de solutions, le BIT estime qu'il en coûte annuellement à l'économie mondiale quelque 1250 milliards de dollars.

GENÈVE - Les accidents et maladies du travail tuent quelque deux millions de personnes par an et coûtent 1250 milliards de dollars à l'économie mondiale, estime le Bureau international du Travail (BIT) dans un rapport sur la «Sécurité au travail: Question de culture». Pour lui, un coup d'arrêt peut être mis à cette situation si travailleurs, employeurs et gouvernements respectent les normes internationales de sécurité.

«Blessures et maladies ne sont pas une fatalité au travail» souligne le Directeur général du BIT, M. Juan Somavia. «Décès, accidents et maladies au travail peuvent être évités. Nous devons promouvoir une nouvelle «culture de la sécurité sur les lieux de travail», partout où ils se trouvent, en s'appuyant sur des politiques et programmes appropriés au plan national afin d'en faire des lieux plus sûrs et plus sains pour tous».

Le chiffre retenu sur les pertes de l'économie mondiale (1250 milliards de dollars) se fonde sur une estimation qui situe à quelque 4 pour cent du produit national brut annuel le coût des accidents et maladies liés au travail, et ce n'est là qu'un volet de l'immense préjudice généré par les risques encourus sur les lieux de travail: près de 160 millions de personnes dans le monde souffrent de maladies liées au travail, tandis que le nombre d'accidents, à l'issue fatale ou non, est estimé à 270 millions de par an.

Le rapport fait état de différences sensibles en fonction des régions et constate que «dans certaines parties du monde en développement le taux de mortalité est quatre fois plus élevé que dans les pays industrialisés les plus sûrs».

C'est la première fois que le BIT est en mesure de préciser les retombées chiffrées de ce problème mondial, rarement évoqué. Ses conclusions se trouvent condensées dans un nouveau recueil ( 1), publié le 28 avril, «Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail», et l'Organisation internationale du Travail y apporte une contribution particulière du fait même de sa composition tripartite, symbole de la coopération entre les gouvernements, les employeurs et les travailleurs, réunis sur un pied d'égalité.

Outre les indemnités compensatoires, les coûts supportés par la société du fait des accidents et des maladies liés au travail se traduisent ainsi:

  • Compétitivité réduite: Un classement - qui fait autorité - des pays en fonction de la compétitivité est publié tous les ans par l'Institut de Management (IMD) de Lausanne. Le BIT a rapproché les conclusions de l'Institut en matière de compétitivité pour 2002 de son propre classement au niveau de la santé et de la sécurité au travail. Le résultat témoigne d'un lien certain entre bonne sécurité et forte compétitivité. Le même exercice, utilisant le classement de compétitivité publié par le Forum économique mondial, a pratiquement donné des résultats similaires.
  • Retraites anticipées: Dans les pays à haut revenu, près de 40 pour cent des retraites prises avant l'âge légal résultent de handicaps physiques. Cela réduit en moyenne de cinq ans la durée de la vie active, et cela équivaut à 14 pour cent de la capacité de travail de la main-d'œuvre en activité.
  • Absentéisme: Cinq pour cent de la force de travail est, en moyenne, quotidiennement absente. Ce chiffre varie de 2 à 10 pour cent en fonction du secteur, du type de travail et de la culture d'entreprise.
  • Chômage: Un tiers des personnes au chômage, en moyenne, sont affligées d'un handicap qui n'est pas suffisamment important pour leur permettre de prétendre à une pension d'invalidité ou à une compensation, mais qui réduit sérieusement leurs chances d'être réembauchées.
  • Ménages appauvris: Un accident professionnel peut réduire sérieusement le revenu d'un ménage. Aux Etats-Unis, par exemple, les salariés qui reçoivent une indemnité d'invalidité partielle pour un accident du travail perdent environ 40 pour cent de leurs revenus en cinq ans. Dans plusieurs cas, d'autres membres de la famille peuvent être contraints de renoncer à leur emploi pour prendre soin de l'invalide du travail, aggravant la baisse des revenus du foyer.

La sécurité est payante pour les compagnies

Au titre des conséquences d'un mauvais environnement sanitaire et sécuritaire sur le bilan d'une compagnie, le rapport du BIT cite un taux d'absentéisme élevé et un ralentissement de l'activité, entraînant une perte de productivité, une sous-utilisation d'unités de production onéreuses et un possible déclin des économies réalisables. A cela s'ajoutent une baisse du moral, qui débouche sur une productivité moindre, le départ des employés qualifiés et expérimentés - en plus des fonds investis en pure perte pour leur formation -, des difficultés à recruter une main-d'œuvre de qualité, et le paiement de compensations et/ou de dommages et intérêts aux salariés blessés ou malades, ou aux proches de travailleurs morts dans leurs activités. De plus, les entreprises doivent assumer les frais légaux qui y sont associés, verser des primes de risque et des primes d'assurance plus fortes, couvrir les dégâts occasionnés aux équipements et aux locaux suite à des incidents et des accidents, payer des amendes, faire face à des litiges avec les syndicats et/ou l'autorité publique, souffrir d'une perte de leur image et d'une partie de la clientèle - en particulier dans le cas de sous-traitants face à de grosses compagnies - ou même, quand l'affaire a une grande résonance, perdre, de manière partielle ou totale, «le droit de fonctionner».

De toute évidence, le coût supporté par les entreprises est élevé. A titre indicatif, aux Etats-Unis, 150 millions de journées de travail sont perdues tous les ans du fait des accidents du travail, et les frais d'assurance de l'industrie grimpent de quelque 20 milliards de dollars. Les entreprises américaines déboursent annuellement 170,9 milliards de dollars pour faire face aux accidents et maladies professionnelles. Pour tous ceux qui souhaitent analyser la marge d'économies possibles grâce à une meilleure protection en matière de sécurité et de santé, le nouveau recueil du BIT leur donne un certain nombre de directives pratiques.

Culture de la sécurité

Les premières causes de mortalité au travail sont le cancer (environ 32 pour cent des décès liés au travail), les maladies circulatoires (23 pour cent), les accidents (19 pour cent) et les maladies transmissibles (17 pour cent). Il est clair que la majeure partie de ces décès peuvent être évités. C'est pourquoi le BIT en appelle au développement rapide, au niveau mondial, d'une culture de la sécurité au travail. Il insiste en particulier sur certains points:

  • Les chefs d'entreprises et la fermeté de leur engagement y ont un rôle primordial à jouer. Les compagnies qui ont opté pour un système de gestion des questions de sécurité et de santé (OSH-MS), mis au point sur la base des directives de l'OIT (ILO-OSH 2001), présentent un meilleur bilan sur les plans sécurité et productivité.
  • Plus le syndicat est puissant, plus le lieu de travail est sûr. L'implication des travailleurs dans la conception et le fonctionnement du système (OSH-MS), jointe à la liberté syndicale, revêt une importance première.
  • L'action menée en faveur de la sécurité et de la santé a principalement un caractère local, mais le cadre dans lequel elle s'exerce doit, pour l'essentiel, être conçu au plan mondial.

Sur ces bases, le Programme de l'OIT sur la sécurité et la santé au travail est bien placé pour influencer l'action à mener de manière globale. Santé et sécurité figurent en tête des normes du travail mises au point par l'Organisation. Et la campagne mondiale lancée en faveur du «travail décent» est au cœur du programme d'action de l'OIT. De toute évidence, travail décent rime aussi avec travail sécurisé.

Les membres de l'Organisation donnent certes une place prioritaire aux problèmes posés par la sécurité et la santé au travail. Une étude détaillée menée par le BIT sur le sujet en 2002 a suscité des réponses de la part de 102 pays membres. Quarante-sept organisations d'employeurs et de travailleurs ont également répondu, directement ou par le biais de leur gouvernement. Les conclusions seront incorporées dans un nouveau rapport qui sera soumis à la Conférence internationale du Travail de juin 2003. Il ressortira de ce rapport et de l'étude qu'une importance cruciale est donnée à la promotion des normes de l'OIT et d'autres instruments comme le Recueil de pratiques et directives.

L'OIT poursuit son effort dans deux directions pour parvenir à une meilleure application de ses normes:

  • Une approche intégrée, canalisant tous ses moyens d'action, afin d'obtenir que les pays membres appliquent, de manière efficace, toutes les mesures favorisant la santé et la sécurité au travail.
  • Le recours à des mesures volontaires et, en particulier, à l'utilisation des nouvelles directives de l'Organisation sur les systèmes de gestion de la sécurité et de la santé au travail (ILO-OSH 2001).

1 - La sécurité en chiffres. Indications pour une culture mondiale de la sécurité au travail, Bureau international du Travail, Genève, 2003, ISBN 92-2-213741-8. Web site: www.ilo.org/public/french/protection/safework/worldday/report_eng.pdf