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Nouvelles vies, nouvelles libertés – comment les migrations de main-d’œuvre rendent les femmes népalaises plus autonomes

La possibilité offerte à des femmes népalaises d’occuper un travail décent à l’étranger a renforcé leur autonomie. Les transferts d’argent ont donné un coup d’accélérateur significatif à l’économie du pays.

Editorial | 31 janvier 2020
Neha Choudhary, OIT Katmandou Coordinatrice nationale de projet, Programme intégré de l’OIT sur le recrutement équitable (FAIR)
La première fois que j’ai rencontré Ram Kumari Chaudhary, c’était une jeune femme de 19 ans à la fois très timide et sérieuse. Elle m’avait expliqué qu’elle voulait aller travailler en Jordanie pour venir en aide à ses parents, en ajoutant qu’il était très difficile de trouver un travail décent au Népal. Peu après, en 2017, j’ai appris qu’elle avait trouvé un emploi dans l’industrie de l’habillement en Jordanie, un secteur en plein développement, pour un salaire de 350 dollars par mois en moyenne. Tous les trimestres, elle envoyait systématiquement à peu près les trois-quarts de son salaire à ses parents au Népal.

Cependant, dix-huit mois plus tard, elle a été contrainte de démissionner et de rentrer au pays en raison de la dégradation de l’état de santé de son père. En partant, elle a reçu le remboursement de ses contributions sociales, soit environ 500 dollars, et a ramené quelques économies. Pour l’aider, son employeur en Jordanie lui a payé le billet d’avion retour. Lorsque je l’ai revue, elle s’était métamorphosée en une jeune femme sûre d’elle, enhardie par son expérience à l’étranger et fière de ce qu’elle avait accompli. «J’ai pu contribuer à la construction d’une petite maison pour mes parents au village», m’a-t-elle expliqué. «J’ai pu aider à payer les frais de santé de mon père. J’ai ramené avec moi un téléviseur à écran plat. Si besoin, je dispose de quelques modestes économies. Et on m’a déjà proposé un travail dans une usine de la région. Compte-tenu de mon expérience internationale, les conditions salariales qui me sont offertes sont bonnes également. Je n’aurais jamais pu gagner autant si j’étais restée au Népal.»

Les parents de Chaudhary font partie des 57 pour cent de foyers au Népal qui reçoivent des transferts d’argent en provenance de travailleurs émigrés. Ces flux financiers sont si importants pour l’économie népalaise qu’ils représentent jusqu’à 26 pour cent du PIB du pays. Et ils ne cessent d’augmenter. Pour la seule année fiscale 2018/19, le pays a reçu un montant total de transferts de fonds en provenance de travailleurs migrants de 879,26 milliards de roupies népalaises (soit 7,76 milliards de dollars), en augmentation si l’on compare à l’année fiscale 2009/10 pour laquelle le chiffre était de 231,72 milliards de roupies népalaises (soit 2,05 milliards de dollars) 1.
Ram Kumari Chaudhary(gauche) et Maya Chepang Praja
Originaire de la ville de Chitwan, au sud-ouest de la capitale népalaise Katmandou, Maya Chepang Praja est une jeune femme de 25 ans, abandonnée par son mari, qui avait décidé d’aller travailler à l’étranger afin de subvenir aux besoins de l’éducation de son fils, alors âgé de trois ans. En Jordanie, elle gagnait 275 dollars par mois environ, soit plus du double des 130 dollars qu’elle touchait en tant qu’ouvrière dans une usine népalaise. Ainsi, elle pouvait mettre de côté l’essentiel de cette somme pour l’envoyer à son fils au Népal.

Malheureusement, elle a été contrainte de rentrer au Népal alors qu’elle travaillait depuis moins de neuf mois en Jordanie. En effet, son fils qui avait été confié à sa grand-mère avait eu une jambe brisée suite à un accident. «Si cet accident n’était pas arrivé et si j’étais restée (en Jordanie), j’aurais gagné assez d’argent pour offrir une vie agréable à mon fils ainsi qu’une bonne éducation. Cependant, ce que j’ai pu gagner pendant neuf mois m’a aidé au moins à ce que sa jambe guérisse et j’en suis bien contente», m’a-t-elle expliqué. Elle est de nouveau à la recherche d’un emploi à l’étranger.

L’importance de la migration et des transferts d’argent va continuer de croître au Népal. En effet, environ 500 000 personnes entrent chaque année sur le marché du travail mais seulement dix d’entre elles trouvent un emploi. Dans ce contexte, il semble quasiment impossible de vivre convenablement en ayant accès à la santé, à l’éducation et à un logement décent sans avoir recours à l’emploi à l’étranger. De plus, comme le montrent les parcours de ces jeunes femmes, les possibilités d’emplois décents à l’étranger ont grandement contribué à l’autonomisation des femmes népalaises au sens large du terme. Ceci est rarement pris en considération dans les grandes études sur l’impact social et politique des transferts d’argent et de l’emploi à l’étranger.

1 Chiffres fournis en 2019 par la “Nepal Rastra Bank”.