20e Conférence internationale des statisticiens du travail

«Rendre visible l’invisible»

​La 20e Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) se déroule à Genève du 10 au 19 octobre 2018. Interview de Rafael Diez de Medina, Directeur du Département de statistique de l'OIT, sur quelques grands thèmes à l'ordre du jour.

Editorial | 9 octobre 2018
Rafael Diez de Medina
La Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) est l’organisme chargé de l’élaboration de normes statistiques internationales en matière de travail; elle est organisée depuis 1923.

La CIST adopte les définitions des concepts de base qu’utilisent ensuite les statisticiens du travail à l’échelle mondiale pour mesurer et analyser le monde du travail. Pendant les préparatifs, Rafael Diez de Medina, Directeur du Département de statistique, a pris le temps de nous expliquer quelques-uns des grands thèmes à l’ordre du jour et nous a fait part de ses espérances pour l’OIT en tant qu’organisation basée sur la connaissance.

Quels sont les principaux thèmes que la CIST va aborder?

En plus de son rôle traditionnel, cette fois la CIST est particulièrement tournée vers l’avenir. Traditionnellement, les définitions classiques se sont parfois avérées trop étroites. De nouvelles formes de travail se développent et les relations entre employeur et employé évoluent.

Nous avons travaillé avec les mandants sur des méthodes novatrices pour classer les relations de travail et mesurer les formes atypiques d’emploi dont l’OIT discute au niveau politique.

Un autre grand domaine d’intérêt concerne les ODD. Le cadre des ODD est un repère pour tous les domaines du développement. L’OIT est chargée de suivre plusieurs indicateurs des ODD et a pour mission d’assister les Etats Membres dans la collecter et la diffusion des données et des statistiques afin de mesurer les progrès par rapport aux cibles des ODD relatives au travail décent.

Les pays ont l’obligation de faire rapport sur les résultats obtenus dans la mise en œuvre des ODD et nous allons publier un manuel pour leur permettre d’évaluer dans quelle mesure ils ont réussi à atteindre ces Objectifs. Le BIT va aider ces pays à produire des indicateurs et leur fournir les outils nécessaires pour rassembler plus de données de meilleure qualité.

En 2013, les statisticiens ont défini le concept de travail pour la première fois. Le travail a été défini de façon à ne pas se limiter à l’emploi rémunéré mais à inclure le travail non rémunéré, le travail bénévole, les stages, etc.

Actuellement, de nombreux pays utilisent déjà ces normes statistiques pour mesurer l’emploi, ainsi que les autres formes de travail de manière uniforme, mais il faut que tous les pays les appliquent. Nous lançons de nouveaux outils précisément pour les aider à accélérer ce processus d’adoption.

Comment la CIST s’articule-t-elle avec l’Initiative sur l’avenir du travail?

Nos discussions vont aborder une série de questions liées à l’avenir du travail. La diversification des formes d’emploi, en partie du fait de l’essor des formes atypiques d’emploi, souvent alimentée par la mondialisation, doit être prise en compte dans les statistiques.

La réalité s’impose aux statisticiens, parfois avant même qu’ils puissent réagir, d’où la nécessité absolue d’innover et d’évoluer dans les systèmes statistiques. Nous devons enregistrer plus efficacement les tendances et paramètres relatifs aux nouveaux métiers et aux évolutions, pour donner aux responsables politiques les moyens de comprendre et d’agir.

Comment peut-on mesurer convenablement le développement économique et social? Mesurer au-delà du seul PIB a été l’une des préoccupations de la Commission mondiale sur l’avenir du travail. Par exemple, le travail non rémunéré, la mobilité de la main-d’œuvre ainsi que la qualité du travail devraient faire partie de la discussion et seront de plus en plus pertinents à l’avenir. L’intégration de ce qui a été décidé par la CIST en 2013 et ce qu’elle va faire en 2018 sera certainement très utile pour compléter les instruments de mesure classiques comme le PIB.

Quelles sont pour vous les grandes priorités pour l’OIT en tant qu’organisation axée sur les connaissances?

En tant qu’organisation axée sur les connaissances, l’importance accordée par l’OIT aux statistiques vise à consolider sa position de référence mondiale sur les statistiques du travail et de principal dépositaire de données fiables sur le travail décent.

L’OIT doit être plus factuelle. Nous sommes une organisation mue par des valeurs, ce qui est important, mais nous devons appuyer les conseils politiques que nous prodiguons à nos partenaires et à nos mandants en utilisant des données et des faits convaincants.

Le Programme et budget de l’OIT inclut des thèmes transversaux et tous les résultats ont une dimension statistique. Le BIT doit travailler de manière coordonnée pour permettre aux statistiques de faire partie intégrante de notre activité, afin que notre activité dans le domaine des politiques s’appuie sur des faits et des données.

Les ODD mettent en évidence la nécessité pour les mandants de collecter des données de qualité. Pour le BIT, le défi consiste surtout à travailler avec nos partenaires pour appliquer les normes statistiques dans toutes les régions. Pour y parvenir, nous avons renforcé nos capacités sur le terrain afin de travailler directement avec les pays, ainsi que par l’intermédiaire du Centre de Turin et d’autres.

A l’échelle mondiale, l’OIT a présidé pendant deux ans le Groupe de travail inter-secrétariat sur les enquêtes auprès des ménages des Nations Unies. Cela a favorisé les échanges avec les autres grands acteurs internationaux de la collecte de statistiques, notamment la Banque mondiale, l’UNICEF, la FAO et l’ONU Femmes, entre autres, et a renforcé la reconnaissance de l’OIT.

Nous participons aussi de manière active à la Commission de statistique des Nations Unies, un organe de l’ECOSOC qui réunit toutes les agences de statistique du monde.

Ce que je souhaiterais, c’est que nous intégrions la dimension statistique et les données fiables dans notre approche plus générale de gestion des connaissances. De meilleures statistiques peuvent garantir que le volet analytique de notre travail est solide et fiable; cela va également nous aider à améliorer le ciblage et l’impact de notre programmation. EVAL ET PROGRAM ont accru l’utilisation des statistiques et des indicateurs dans leur travail. Nous allons dans la bonne direction mais nous devons en faire davantage.

Quelles sont vos espérances pour le centenaire en 2019?

Le centenaire est une excellente occasion pour améliorer la visibilité de l’OIT et la positionner à l’échelle mondiale. Nous devons mettre à profit le centenaire pour convaincre davantage de personnes que le travail décent et les questions fondamentales qui sont au cœur du mandat de l’OIT nous concernent tous.

Notre travail peut contribuer à rendre visible ce qui est invisible et à donner plus de visibilité aux enjeux cruciaux dont doivent s’occuper les responsables politiques.