Crise des réfugiés syriens

Les réfugiés syriens employés illégalement, travaillant dans des conditions difficiles, mettent à rude épreuve le marché du travail jordanien

L’arrivée de centaines de milliers de réfugiés syriens en Jordanie voisine a fait monter le chômage dans les zones où ils sont fortement concentrés et a pesé sur les infrastructures, les ressources et les services publics du pays hôte. Cela a exacerbé la concurrence dans certains secteurs et alimenté l’informalité du marché du travail, selon un nouveau rapport conjoint de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et de l’Institut des études internationales appliquées (Fafo).

Actualité | Amman - Jordan | 18 mai 2015
© ILO/Nadia Bseiso 2015
AMMAN (OIT Info) – En Jordanie, les travailleurs syriens sont prêts à accepter des salaires inférieurs et des conditions de travail plus dures que les Jordaniens, entrant en concurrence avec eux dans certains secteurs et aggravant l’informalité du marché du travail, selon une nouvelle étude de l’OIT et de l’Institut Fafo pour les études internationales appliquées basé à Oslo. L’étude examine l’impact de l’afflux de réfugiés syriens sur le marché du travail jordanien.

Cet afflux exerce une pression sur les autorités jordaniennes pour qu’elles appliquent les normes du travail en vigueur telles que le salaire minimum, la durée du travail ou la sécurité au travail.

L’étude a constaté que, pour les Jordaniens des régions où les concentrations de réfugiés syriens sont les plus fortes – la capitale Amman et les provinces du Nord Irbid et Mafraq –, le chômage a grimpé de 14,5 à 22,1 pour cent entre 2011 et 2014.

La nouvelle étude publiée, conduite par l’OIT et l’institut Fafo, s’appuie sur une enquête réalisée auprès d’environ 4000 ménages jordaniens et syriens dans ces trois zones qui accueillent trois quarts des 628 000 réfugiés enregistrés en Jordanie. Le gouvernorat de Mafraq abrite le camp de Zaatari, le plus vaste camp de réfugiés syriens en Jordanie.

L’étude, intitulée Impact des réfugiés syriens sur le marché du travail jordanien, (Impact of Syrian Refugees on the Jordanian Labour Market en anglais) a été conduite en collaboration avec le Département de statistique de Jordanie (DOS). Elle permet de mieux comprendre le profil d’emploi des réfugiés syriens en Jordanie et préconise des stratégies pour relever les défis auxquels sont confrontés les réfugiés et les communautés d’accueil jordaniennes dans leur recherche d’emploi et de moyens d’existence.

«Cette étude fait partie des efforts déployés par l’OIT en vue d’atténuer les effets de la crise des réfugiés syriens en Jordanie», a déclaré Franck Hagemann, Directeur régional de l’OIT pour les Etats arabes par intérim.

«Elle va nous permettre de mieux comprendre et nous aider à résoudre les problèmes très concrets qui se posent sur le marché du travail jordanien aussi bien pour les réfugiés syriens que pour les populations d’accueil jordaniennes.»

L’étude examine la situation des réfugiés qui travaillent au sein des communautés d’accueil ou à l’intérieur des camps de réfugiés. Elle conclut que presqu’aucun d’entre eux ne dispose d’une autorisation de travail, et ils sont donc employés dans l’économie informelle et en dehors des limites fixées par le droit du travail jordanien.

Les réfugiés gagnent moins mais travaillent plus

Bien que les travailleurs jordaniens employés dans le secteur informel soient confrontés aux mêmes difficultés que les travailleurs syriens, les données indiquent que ces derniers sont généralement payés moins: 15 pour cent des Jordaniens gagnent moins de 200 dinars jordaniens (environ 282 dollars des E.-U.) par mois mais c’est le cas de 44 pour cent des réfugiés syriens qui travaillent en dehors des camps. Les réfugiés doivent aussi effectuer plus d’heures: environ 30 pour cent des réfugiés syriens travaillent plus de 60 heures par semaine et ils sont même 16 pour cent à faire 80 heures voire plus. En général, les Syriens qui disposent d’un contrat de travail ont des contrats moins favorables que les Jordaniens employés dans le même secteur.

La majorité des réfugiés syriens qui ont trouvé du travail en Jordanie semblent d’abord occuper les emplois peu qualifiés et mal rémunérés qui sont apparus à leur arrivée. Certains réfugiés ont pris des emplois qui existaient déjà avant leur arrivée, accroissant ainsi la concurrence avec les travailleurs issus des communautés jordaniennes qui les accueillent.

L’un des principaux enseignements concerne l’évolution des occupations professionnelles des Jordaniens: 30 pour cent des travailleurs jordaniens qui étaient employés dans le bâtiment et l’agriculture avant que la crise ne survienne en Syrie n’y travaillent plus aujourd’hui. On notera que ces deux secteurs emploient aussi beaucoup de travailleurs immigrés d’autres nationalités.

Un secteur semble attirer les deux catégories de travailleurs, c’est le commerce de gros et de détail qui, si l’on se base sur les personnes interrogées, emploie 23 pour cent des réfugiés syriens travaillant en dehors des camps et 18 pour cent des Jordaniens.

Le taux de chômage de la communauté d’accueil jordanienne est en hausse

© ILO/Nadia Bseiso 2015
La recherche a constaté que le taux de chômage parmi les Jordaniens, hommes et femmes, dans les régions d’accueil d’Amman, Irbid et Mafraq, avait augmenté d’environ 30 à 40 pour cent parmi les femmes et d’environ 10 à 17 pour cent chez les hommes entre 2011 et 2014.

Les membres de la communauté internationale et les organisations non gouvernementales (ONG) se sont réunies à Amman pour discuter des conclusions du rapport avant sa publication.

«Les principales conclusions et recommandations qui doivent être prises en considération d’urgence pour la planification et la réponse humanitaires sont les taux de chômage parmi les jeunes et les faibles taux de scolarisation parmi les enfant syriens», a déclaré Karen Whiting, chargée de la protection au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). «Nous devons aussi sensibiliser davantage les réfugiés syriens à la législation du travail jordanienne, notamment aux exigences juridiques pour participer au marché du travail», a-t-elle ajouté.

Irene Fellmann, Conseillère pour le développement à l’Ambassade d’Allemagne à Amman a déclaré: «Les recommandations de l’étude doivent être prises en considération quand nous étudions comment favoriser l’accès des Jordaniens marginalisés et des Syriens réfugiés au marché du travail jordanien et à l’économie au sens large.»

Actuellement, environ 51 pour cent des hommes syriens vivant en dehors des camps participent au marché du travail jordanien tandis que pas moins de 57 pour cent cherchent du travail. Cela ne s’applique pas aux femmes syriennes dont 7 pour cent seulement participent au marché du travail jordanien.

Cela constitue une sérieuse menace pour l’avenir du marché du travail en Jordanie. Si l’aide humanitaire commence à se raréfier sans espoir d’une résolution du conflit en Syrie et de retour des réfugiés chez eux, alors il faudra qu’un plus grand nombre de réfugiés syriens accèdent au marché du travail, conclut l’enquête.
Le rapport en chiffres:
  • Dans les régions à forte densité de réfugiés syriens, le chômage parmi les Jordaniens a grimpé de 14,5 pour cent en 2011 à 22,1 pour cent en 2014.
  • Le taux de chômage des Jordaniens a augmenté de 40 pour cent chez les femmes et de 17 pour cent chez les hommes entre 2011 et 2014 dans les gouvernorats qui font l’objet de l’enquête.
  • Parmi les réfugiés syriens qui travaillent, 99 pour cent ont un emploi informel non conforme à la législation du travail jordanienne. Environ 50 pour cent des Jordaniens travaillent aussi de façon informelle.
  • 60 pour cent des réfugiés syriens de plus de 15 ans n’ont jamais terminé leur scolarité primaire et seuls 15 pour cent des réfugiés ont achevé leurs études secondaires, contre 42 pour cent des Jordaniens de plus de 15 ans.
  • Plus de 40 pour cent des travailleurs syriens sont employés dans le secteur de la construction, suivis par 23 pour cent dans le commerce de gros et de détail.
  • Tandis que seuls 14 pour cent des travailleurs jordaniens interrogés travaillent 60 heures ou plus, environ 30 pour cent des Syriens sont dans ce cas, y compris 16 pour cent qui travaillent 80 heures ou plus.
  • Pas moins de 25 pour cent des réfugiés syriens travaillant en dehors du camp de Zaatari, et pas moins de 61 pour cent de ceux qui travaillent à l’intérieur du camp, gagnent bien moins que les 150 dinars jordaniens (environ 211 $) par mois prévus par le salaire minimum pour les non Jordaniens. A comparer avec les 13 pour cent de Jordaniens qui gagnent moins que la salaire minimum de 190 dinars (environ 268 $) fixé pour les citoyens jordaniens..
  • Quant au travail des enfants, 1,6 pour cent des garçons jordaniens et 8 pour cent des garçons syriens âgés de 9 à 15 ans sont économiquement actifs. Dans la catégorie des 15-18 ans, les taux passent respectivement à 17 et 37 pour cent.

La voie à suivre

Dans le cadre du Plan de réponse jordanien 2015, le gouvernement jordanien, avec l’appui de la communauté internationale, déploie déjà des efforts concertés pour résoudre ces problèmes prévalant sur le marché du travail.

Néanmoins, la principale recommandation du rapport est d’accorder aux réfugiés syriens des permis de travail officiels dans des secteurs spécifiques, conformément aux règles jordaniennes. Tant que ce principal problème n’est pas résolu, le travail informel et non réglementé perdure et a des répercussions négatives aussi bien pour les Jordaniens que pour les Syriens. C’est pourquoi l’étude propose les initiatives suivantes:
  • Création d’emplois: II s’agit notamment de créer immédiatement des emplois d’urgence dans les gouvernorats affectés; d’actualiser, d’adapter et d’accélérer la mise en œuvre de la Stratégie nationale d’emploi; de maximiser le potentiel d’emplois à court terme qu’offre l’économie de l’aide; et de coordonner les mesures entre la communauté internationale et le gouvernement de Jordanie.
  • Qualité de l’emploi: Cela passe par la priorité accordée à l’emploi informel endémique en renforçant la gestion du marché du travail et le respect de la législation du travail, notamment l’amélioration de la politique salariale, la surveillance des conditions de travail, l’élimination de la résurgence du travail des enfants et le renforcement de la gestion des migrations.
  • Planification des secours: On peut raisonnablement supposer que l’aide humanitaire et d’autres types de soutien empêchent de nombreux réfugiés syriens d’entrer sur le marché du travail pour le moment. Si aucune mesure n’est prise, un grand nombre de ces réfugiés vont probablement arriver sur le marché du travail une fois que l’aide humanitaire diminuera et cessera finalement. Dans le même temps, il est probable que le conflit en Syrie va continuer longtemps, et que de nombreux Syriens resteront en Jordanie pendant les prochaines années. Ainsi, il convient de clarifier les scénarios réalistes pour le développement du marché du travail jordanien, en prenant en considération que 1) les réfugiés syriens seront probablement présents en Jordanie et auront un effet sur le marché du travail pendant plusieurs années encore, et 2) l’implication des réfugiés syriens peut être formalisée sur le marché du travail jordanien de manière bénéfique pour l’économie jordanienne.

Pour toute question, les journalistes peuvent contacter:

Salwa Kanaana, chargée régionale de la communication et de l’information publique, Bureau régional de l’OIT pour les Etats Arabes, Tél.: +961 1 752 400 (Ext 117), Portable: +961 71 505958, courriel: kanaana@ilo.org