Réunion régionale pour les Amériques du 2 au 5 mai - Travail forcé en Amérique Latine: Combattre l'impunité

En Amérique Latine, 1,3 million de personnes sont victimes du travail forcé, ce qui représente plus de 10 pour cent des travailleurs forcés dans le monde. Selon le rapport préparé pour la Réunion régionale de l'OIT pour les Amériques, en dépit du nombre élevé, il est possible de réduire le travail forcé de manière drastique au cours des dix prochaines années, c'est une question de volonté. Reportage de BIT en ligne depuis le Brésil.

Article | 2 mai 2006

ETAT DE MARANHAO, Brésil (BIT en ligne) - Le mois dernier, des représentants de la police et du gouvernement ont libéré 318 employés agricoles détenus dans des conditions proches de l'esclavage dans le Nord-Est du Brésil, la région la plus pauvre du pays. Au terme d'une traque de huit jours, les employés de la police et du Ministère du Travail ont découvert 121 travailleurs détenus sans rémunération dans trois ranchs de l'Etat de Maranhao.

Au final, les propriétaires de ranch ont été contraints de payer à chaque travailleur l'équivalent de deux salaires mensuels minimum, soit 700 reals (330 dollars), plus une amende de 100 000 reals (46 420 dollars), ou l'équivalent en ordinateurs et caméras, à l'Etat. L'équipement audiovisuel est utilisé par les autorités locales pour surveiller les ranchs.

Ce même mois, dans l'Etat voisin de Tocantins, une inspection de routine des conditions de travail a révélé que 197 autres travailleurs agricoles étaient contraints de vivre sous la tente, sans eau, ni électricité, ni paie. Le propriétaire du ranch a dû verser une compensation de 130 000 reals (60 345 dollars) aux employés.

Depuis leur libération, ces travailleurs participent à des programmes d'aide du gouvernement et sont raccompagnés vers leurs Etats d'origine. Le ministère brésilien du Travail déclare que 18 000 travailleurs ont été libérés de leurs conditions d'esclavage depuis 1995.

Selon le droit brésilien, le travail forcé comprend le travail dégradant obtenu par la coercition, les menaces sur la famille ou la servitude pour dettes. La peine peut aller jusqu'à 6 ans de prison et 250 reals d'amende minimum (116 dollars) pour chaque employé retenu.

Dans son rapport préparé pour la Réunion régionale pour les Amériques, l'OIT a précisé qu'elle avait pour but de réduire significativement le travail forcé en Amérique latine.

"Nous pouvons atteindre ce but s'il y a une forte volonté de régler le problème", déclare l'expert du BIT sur le travail forcé, Roger Plant. "Les gouvernements et les partenaires sociaux des pays où le travail forcé existe doivent être conscients de la situation de ces travailleurs et agir en justice, en particulier contre l'impunité de ceux qui perpétuent le travail forcé."

Le rapport de l'OIT identifie aussi un besoin de programmes spécifiques pour l'économie rurale, de campagnes nationales de sensibilisation et de systèmes renforcés d'inspection du travail. Le rapport précise que les pays tels que la Bolivie, le Guatemala, le Paraguay et le Pérou, qui ont une importante population indigène, doivent être des objectifs prioritaires.

Le Brésil prend la tête du combat contre le travail forcé

"Le Brésil a non seulement ancré la lutte contre le travail d'esclave dans ses structures institutionnelles mais il a aussi réussi à engager la société civile dans le combat pour l'abolition du travail forcé. Les expériences que nous avons menées ces dernières années montrent qu'il est possible d'éradiquer le travail forcé en Amérique latine si les travailleurs, les employeurs et les autorités locales et gouvernementales s'impliquent dans le dialogue social", affirme Roger Plant.

"En suivant le modèle brésilien, ajoute-t-il, nous constatons maintenant des avancées dans d'autres pays d'Amérique latine qui intensifient leur action contre le travail forcé. Le Pérou a créé un Comité interministériel pour l'éradication du travail forcé qui doit formuler des politiques et un plan d'action. En Bolivie, la Commission nationale contre le travail forcé a été créée en décembre 2004 et a, depuis lors, identifié les mesures à prendre pour s'attaquer à la servitude pour dettes dans différentes régions. Au Paraguay, le gouvernement a récemment renforcé son inspection du travail dans une zone où la réalité du travail forcé et de la servitude pour dette était démontrée. Ce sont les signes d'une nouvelle détermination de l'Amérique latine à s'en prendre au travail forcé et établir de nouvelles structures pour traiter le problème".

Une campagne nationale contre le travail forcé au Brésil, lancée en octobre 2003, a déjà réuni 11 millions de dollars. Le gouvernement a établi une Commission nationale pour l'éradication du travail d'esclave (CONATRAE) et a lancé un plan d'action national contre le travail forcé. Grâce à ces activités et à une meilleure couverture médiatique entre 2002 et 2005, le nombre de rapports d'information sur ce sujet a augmenté de 1900 pour cent.

En outre, le gouvernement a établi une "liste noire" des entreprises recourant au travail d'esclave et qui ne sont plus autorisées à recevoir des subventions publiques. La liste comprenait à l'origine 65 entreprises enfreignant la loi, elle en compte aujourd'hui 188. En 2003, les victimes qui échappaient au travail forcé recevaient automatiquement trois mois d'indemnité chômage et, depuis décembre 2005, ceux qui ont des enfants sont également susceptibles de recevoir des allocations du programme "Tous les enfants à l'école" (Bolsa familia).

En mai 2005, un Pacte national contre le travail forcé, coordonné par l'OIT et l'Institut Ethos pour la responsabilité sociale, a été signé par un grand nombre d'entreprises publiques et privées qui s'engagent à ne pas acheter de produits issus du travail forcé. En décembre 2005, la Fédération des banques brésiliennes (FEBRABAN) a décidé de suspendre les crédits aux entreprises inscrites sur la "liste noire" du gouvernement.

En outre, les tribunaux brésiliens ont pris cette année des décisions qui vont faire date dans la lutte contre l'impunité: un juge de l'Etat de Para a condamné un fermier à 1,3 million de reals (481 500 dollars) d'amende pour préjudice moral résultant du travail forcé. La Cour régionale du travail de Para a ordonné à un fermier qui maintenait 180 personnes, dont 9 jeunes et un enfant, dans des conditions d'esclavage de payer 5 millions de reals (2,1 millions de dollars).

En décembre 2005, en présence du Président Luiz Inacio Lula da Silva, l'OIT et ses partenaires de CONATRAE ont lancé la seconde phase de la campagne d'éradication du travail forcé au Brésil.

"Il va maintenant falloir consolider ces efforts pour abolir le travail forcé au Brésil et libérer les 25 à 40 000 Brésiliens qui travaillent comme esclaves", conclut Roger Plant. "Le plus grand défi sera de renforcer la prévention, de secourir les victimes du travail forcé et d'en punir les auteurs. L'accès de la population à l'éducation et à des services de santé de base, à un travail décent et à des opportunités financières est tout aussi important."


Note 1 - Travail décent dans les Amériques: Agenda de l'hémisphère 2006-2015, Rapport du Directeur général, 16e Réunion régionale des Amériques, Brasilia, mai 2006.

Le rapport peut être consulté sur le site Internet du BIT: www.ilo.org/public/french/standards/relm/rgmeet/americas.htm