Couverture universelle

Pas de protection de la santé sans personnel de santé

La pénurie mondiale de personnel de santé sape les efforts déployés pour fournir des soins de qualité à tous ceux qui en ont besoin et pour parvenir à une protection universelle de la santé.

Editorial | 9 juillet 2014
Par Xenia Scheil-Adlung, coordinatrice des politiques de santé au sein du Département de la protection sociale de l’OIT.
GENÈVE – Il manque environ 10,3 millions de professionnels de santé à l’échelle mondiale pour s’assurer que des services de santé de qualité sont accessibles à toutes les personnes dans le besoin. Le problème se pose particulièrement dans les pays à faible revenu où, de ce fait, près de 90 pour cent de la population n’ont pas accès aux soins de santé.

Selon les dernières estimations du Rapport de l’OIT sur la protection sociale dans le monde, un pays devrait disposer en moyenne de 41,1 professionnels de santé pour 10 000 habitants pour être en mesure de dispenser l’essentiel des soins de santé à l’ensemble de sa population. Mais dans de nombreux pays à bas revenus la réalité est bien différente.

Par exemple, dans des pays comme Haïti, le Niger, le Sénégal et la Sierra Leone, il n’y a que cinq professionnels de santé, voire moins, disponibles pour 10 000 habitants, contre 269 dans un pays à hauts revenus comme la Finlande. L’Asie est le continent où l’on a le plus besoin de personnel supplémentaire (7,1 millions), suivi par l’Afrique (2,8 millions).

La carte des chiffres
La pénurie de travailleurs de la santé qualifiés par pays
La bonne nouvelle, c’est que les investissements des pouvoirs publics dans la protection de la santé peuvent contribuer à combler ce déficit et profiter à ceux qui en ont besoin, comme à l’économie dans son ensemble. Les patients qui ont accès à des services de santé sont plus productifs, ce qui a pour effet de stimuler la croissance économique. Dans le même temps, augmenter le nombre des professionnels de santé signifie que davantage d’emplois sont créés, ce qui contribue aussi à doper la croissance.

Les politiques de protection sociale peuvent aussi servir à s’assurer que les personnes qui vivent dans des zones éloignées et mal desservies ont un accès approprié aux soins de santé.

Comment expliquer cette pénurie de professionnels de santé?

L’une des raisons majeures est le faible niveau des rémunérations que touchent ces employés. Au Soudan, en Egypte, au Myanmar, par exemple, les salaires du secteur de la santé ne dépassent que de 1 pour cent le seuil de pauvreté de 2 dollars par personne et par jour.

La crise économique mondiale a incité de nombreux pays à instaurer des politiques d’assainissement budgétaire afin de maîtriser les dépenses publiques. De ce fait, les salaires des fonctionnaires – dont les personnels de santé – ont été réduits ou plafonnés dans pas moins de 98 pays, dont 75 pays en développement. Selon notre Rapport sur la protection sociale dans le monde, les dépenses publiques ont été réduites dans 122 pays, dont 82 pays en développement.

Des salaires insuffisants ont aussi des répercussions négatives, telles que l’absentéisme, la demande de paiements informels, et une fuite des cerveaux des travailleurs qui s’expatrient pour toucher un meilleur salaire. Ce qui signifie que de plus en plus de personnes doivent prendre elles-mêmes en charge le coût de leur traitement et, dès lors, l’objectif d’une couverture santé universelle s’éloigne.

Nous savons qu’il existe une corrélation entre les niveaux de pauvreté et les paiements directs des patients sous traitement. Par exemple, dans les pays où moins de 2 pour cent de la population vivent avec 2 dollars par jour, environ 20 pour cent des dépenses totales de santé sont assumés par des paiements directs, tandis que dans les pays où plus de 50 pour cent de la population vivent avec 2 dollars par jour, cette proportion atteint les 50 pour cent.

Les mauvaises conditions de travail des personnels de santé entraînent aussi des décès que l’on aurait pu éviter, par exemple en cas d’accouchement difficile ou du fait des longues listes d’attente pour la chirurgie. Dans les unités de soins d’urgence, les infirmières doivent parfois prendre en charge quatre patients ou plus alors qu’un ou deux serait l’idéal.

Pour combler ces graves pénuries, il faut des politiques cohérentes en matière de protection sociale qui mettent des services de santé de qualité à la disposition et à la portée de tous. La recommandation (n° 202) de l’OIT définit des politiques axées sur la mise en place d’une couverture universelle qui devrait être inscrite dans la législation et sur la fourniture, au minimum, des soins de santé essentiels et d’une protection financière. L’efficacité de ces politiques suppose de garantir des conditions de travail et de rémunération décentes pour un nombre suffisant de professionnels de santé.

Si nous voulons éviter que les ajustements budgétaires ne prennent le pas sur les besoins humains fondamentaux, et si nous voulons réaliser les ambitions des Objectifs du Millénaire pour le développement en matière de santé et celles du Programme de développement pour l’après-2015, alors nous devons agir d’urgence pour améliorer la protection sociale de la santé. Cela ne pourra se faire qu’au prix d’une forte volonté politique.

La Pénurie de travailleurs de la santé qualifiés par pays

Travailleurs de la santé qualifiés supplémentaires nécessaires pour fournir des services à tous dans le besoin, pour 10.000 habitants
Passez la souris sur le graphique pour afficher les valeurs
 
Sources: statistiques réalisées par l'OIT utilisant les données de l'OMS (densité de médecins, de personnel infirmier et de sages-femmes par 10 000 habitants).


L'OIT estime qu'au moins 41,1 professionnels de santé sont nécessaires pour offrir des services à l'ensemble de celles et ceux qui en ont besoin. Ce chiffre est basé sur un calcul des valeurs moyennes de la densité du nombre de professionnels de santé dans les pays où les conditions socio-économiques et les catactéristiques du financement de la santé sont favorables à la couverture universelle.