Emploi des jeunes au Libéria

Promouvoir l'emploi pour les jeunes dans les entreprises multinationales

Au Libéria, quatorze années de guerre ont durement affecté les infrastructures nécessaires aux investissements et à la reprise; elles ont différé l’entrée d’une génération de jeunes sur le marché du travail. Aujourd’hui, près des deux tiers de la population vivent dans la misère. Alors que les jeunes âgés de 15 à 35 ans représentent 53 pour cent de la main-d’œuvre, ils représentent 58 pour cent des chômeurs. Intégrer la jeunesse sur le marché du travail est vital pour le développement économique global et pour garantir la stabilité dans un pays en situation post-conflit comme le Libéria. Interview avec Yukiko Arai, spécialiste du Programme des entreprises multinationales du BIT et auteur d’une nouvelle étude, sur comment les entreprises multinationales (EMN) peuvent contribuer à créer davantage d’emplois de qualité pour la jeunesse du pays.

Article | 1 septembre 2010

Une nouvelle étude du BIT (Note 1) examine l’impact des EMN sur l’emploi au Libéria. Pouvez-vous nous en dire davantage?

Yukiko Arai: Depuis son élection en 2005, le gouvernement du Libéria a donné la priorité à la création d’emplois en attirant des investissements étrangers directs (IED) de la part des entreprises multinationales (EMN). D’abord concentrés dans les secteurs de l’agriculture et des mines, les IED se sont accrus à un rythme soutenu. L’étude confirme le retour des EMN au Libéria après la période de conflit. L’Investissement étranger direct (IED) devrait permettre d’y créer des emplois. Si les EMN ne peuvent pas absorber tous les demandeurs d’emploi, elles créent effectivement un nombre conséquent d’emplois directs. Elles ont aussi le potentiel de créer des postes supplémentaires dans les différentes opérations de leur chaîne de valeur dans le pays, ainsi que des emplois indirects en stimulant l’activité économique au sens large.

Comment les investissements qui gagnent la région peuvent-ils générer davantage d’emplois de qualité pour les jeunes, hommes et femmes?

Yukiko Arai: Le potentiel d’emploi des jeunes dans des secteurs comme les mines, le bois et l’agriculture (cultures marchandes), est élevé, avec un potentiel supplémentaire dans l’ensemble des filières. Cependant, ces emplois sont souvent occupés par des migrants qualifiés, car les jeunes Libériens, hommes et femmes, n’ont généralement pas les compétences requises; les EMN doivent fréquemment importer des biens et des services plutôt que de se les procurer sur place en raison des capacités insuffisantes du marché local. D’autres emplois verraient évidemment le jour si les EMN pouvaient s’approvisionner davantage auprès des producteurs locaux.

Quelles sont les perspectives de création d’emplois de qualité grâce aux EMN?

Yukiko Arai: Bien que modestes au regard du nombre total de demandeurs d’emploi, de nombreuses possibilités d’emplois directs proviennent des EMN dans les mines, la banque et l’agriculture – les trois secteurs que nous avons étudiés. Pour ne donner qu’un seul exemple, une compagnie minière qui démarre son activité peut potentiellement créer de 2 à 4 000 emplois. En outre, les EMN génèrent des possibilités d’emploi indirect, notamment dans le bâtiment, la restauration et d’autres services.

La plupart de ces emplois peu ou pas qualifiés sont cependant attribués à des ressortissants libériens alors que les employés étrangers ont tendance à occuper les postes techniques ou de direction qui requièrent de l’expérience et des compétences difficiles à trouver sur le marché local. Pourtant, les EMN se sont clairement prononcé en faveur d’un recrutement parmi la main-d’œuvre locale si elles parviennent à trouver des candidats ayant la formation et les qualifications adéquates.

Comment tirer le meilleur parti du potentiel de création d’emplois locaux par les EMN?

Yukiko Arai: A l’avenir, les offres d’emploi seront destinées à la main-d’œuvre qualifiée ayant de l’expérience pratique et une connaissance des dernières technologies et méthodes dans leurs domaines respectifs. Il est donc indispensable d’agir pour améliorer les niveaux d’éducation et de formation auxquels parviennent les nouveaux arrivants sur le marché du travail afin que la création d’emplois ne cantonne pas la jeunesse libérienne à du travail déqualifié.

Les EMN ont-elles un rôle à jouer pour réduire les «disparités de qualifications»?

Yukiko Arai: Les EMN préfèrent vraiment recruter des nationaux; cependant, le Libéria manque sérieusement de main-d’œuvre qualifiée et expérimentée, avertie des dernières technologies et avancées de leurs domaines. Les écoles qui dispensent l’éducation primaire n’ont pas réussi à doter les écoliers des compétences de base exigées sur le marché du travail. Les universités manquent des ressources, des équipements et des technologies nécessaires pour enseigner à leurs étudiants les méthodologies appropriées et les technologies les plus modernes qui sont utilisées dans le secteur privé.

Les EMN surmontent actuellement ces déficits de qualification en dispensant leurs propres programmes de formation pour doter leurs employés des qualifications nécessaires dès leur embauche. Pourtant, des employés étrangers sont recrutés pour occuper d’éminents postes techniques et de direction qui exigent de l’expérience, des diplômes supérieurs et des certificats, toutes choses que l’on ne peut pas encore trouver dans la main-d’œuvre locale. Les travailleurs étrangers dispensent une formation maison aux recrues locales.

Eu égard aux défis communs que rencontrent toutes les EMN, il est néanmoins possible d’envisager qu’elles se rassemblent pour aborder ces problèmes ensemble.

Existe-t-il des directives internationales permettant aux EMN d’optimiser leur contribution au développement des pays qui les accueillent?

Yukiko Arai: La Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale propose aux responsables politiques et aux dirigeants d’entreprise une orientation quant à la façon de maximiser les apports des EMN dans les pays d’accueil. Elle encourage les entreprises à participer aux objectifs de développement du pays où elles opèrent via un processus de dialogue social; à créer des emplois, notamment en favorisant les liens en amont en s’approvisionnant auprès des entreprises locales; à développer les qualifications et la formation à travers un partenariat avec l’ensemble des acteurs concernés; et à contribuer au respect des droits des travailleurs.

L’étude du BIT plaide également en faveur d’un dialogue renforcé entre les secteurs public et privé du pays…

Yukiko Arai: Le dialogue entre les secteurs public et privé est assez pauvre. En général, les EMN souhaitent que le gouvernement collabore avec le secteur privé pour trouver des solutions afin de générer suffisamment de possibilités d’emplois décents et pérennes, au-delà de la simple création d’emplois. Fortes de leur engagement de longue durée au Libéria, de nombreuses EMN expriment la volonté et le désir de participer et de contribuer à relever les défis du développement national, en particulier en apportant un impact positif dans leurs secteurs d’activité. Cela donne la possibilité aux entreprises privées et au secteur public de s’allier pour relever les grands défis propres à chaque secteur, ainsi que le défi commun des vastes déficits de qualification qui entravent l’essor de l’emploi des jeunes et le développement au sens large.

Que va-t-il se passer ensuite?

Yukiko Arai: Le suivi immédiat consistera en un dialogue de haut niveau organisé entre acteurs privés et publics sur le rôle des EMN dans l’emploi des jeunes, s’appuyant sur les enseignements de cette étude. Il sera précédé d’un séminaire où les entreprises confronteront leurs visions du rôle des entreprises dans le développement du capital humain au Libéria. Leurs recommandations devraient être présentées dans le cadre du dialogue politique de haut niveau.

Ces activités marqueront une première étape pour forger une approche partenariale qui soutiendra les objectifs de développement national du Libéria tout en garantissant aux EMN qu’elles bénéficieront également d’une meilleure compétitivité à long terme.

Pouvez-vous nous éclairer sur les activités similaires que mène le BIT avec des EMN dans d’autres pays de la région?

Yukiko Arai: Cette étude conduite par l’OIT et l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), financée par le gouvernement japonais, fait partie d’un programme de recherche orienté vers l’action sur la maximisation de la création d’emplois à l’échelle locale grâce aux EMN, avec un accent particulier sur l’emploi des jeunes. Des études similaires ont également été menées en Côte d’Ivoire et en Sierra Leone.

Note 1: Promoting Job Creation for Young People in Multinational Enterprises and their Supply Chains: Liberia (Promouvoir la création d’emplois pour les jeunes dans les entreprises multinationales et leurs chaînes d’approvisionnement: Le cas du Libéria). Par Yukiko Arai, Ata Cissé, Madjiguene Sock. Rapport sur l’emploi n° 7, Bureau international du Travail, Genève, 2010.