Travail décent et développement durable

Déclaration du Directeur general de l'OIT au Conseil national du Travail de Belgique.

Déclaration | Brussels | 27 avril 2015
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les représentants des partenaires sociaux,

Je vous remercie de l’occasion que vous m’offrez d’évoquer avec vous aujourd’hui les nouveaux objectifs de développement durable pour l’après-2015, ainsi que le rôle que vous et les autres mandants tripartites de l’OIT pourriez jouer dans leur mise en œuvre.

Les négociations sur le texte définissant un nouveau cadre de développement entrent maintenant dans leur phase finale en vue de soumettre un texte de consensus à l’approbation des Chefs d’Etat et de gouvernement lors d’un sommet spécial des Nations Unies fin septembre.

Les négociations finales s’appuieront sur un rapport du Groupe de travail ouvert sur les objectifs de développement durable présentés à l’Assemblée générale en juillet dernier.

Grâce aussi aux représentants à New York de pays du monde entier, réunis par les ambassadeurs de Belgique et d’Angola sous le nom d’Amis du travail décent, l’Agenda de l’OIT pour le travail décent figure en bonne place dans le rapport du Groupe de travail ouvert et dans les discussions ultérieures.

Les négociations peuvent encore achopper sur de nombreux écueils, pas si cachés, et nous devrons rester vigilants lors du processus d’approbation des textes finaux.

Cependant, après une longue période de réflexion sur les leçons tirées des Objectifs du Millénaire pour le développement et sur ce que signifie véritablement l’intégration des dimensions économique, sociale et environnementale du développement durable, les 17 objectifs proposés par le Groupe de travail ouvert exigent un haut degré de consensus à l’échelle mondiale.

Parmi ces objectifs, figure le numéro 8, intitulé «Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous».

L’objectif 8 comporte une douzaine de cibles dont l’une appelle explicitement à redoubler d’efforts pour «réaliser, d’ici à 2030, le plein emploi productif et le travail décent pour tous les hommes et les femmes, y compris les jeunes et les personnes handicapées, et à appliquer le principe “à travail égal, salaire égal”».

Des cibles relevant d’autres objectifs sont tout aussi pertinentes: réduire la proportion de jeunes qui n’ont pas d’emploi, et ne suivent ni études, ni formation; mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes et éradiquer le travail forcé; protéger les droits au travail et garantir des conditions de travail sures pour tous les travailleurs, y compris les travailleurs migrants; et encourager l’entreprenariat, l’innovation et la formalisation des micro, petites et moyennes entreprises. En ce qui concerne les moyens à mobiliser pour atteindre ces objectifs, il est fait spécialement référence à la mise en œuvre d’une stratégie mondiale pour l’emploi des jeunes d’ici à 2020, et du Pacte mondial pour l’emploi de l’OIT.

On trouve des références supplémentaires aux domaines de compétence de l’OIT dans plusieurs autres objectifs. La question de la protection sociale est une cible privilégiée pour agir dans le cadre de l’objectif numéro un relatif à la pauvreté; elle est mentionnée au côté des politiques salariale et budgétaire comme instrument de lutte contre les inégalités.

La Belgique s’est montrée particulièrement active pour faire reconnaître la valeur de la recommandation n° 202 de l’OIT sur les socles de protection sociale comme investissements dans les capacités de production des sociétés et l’éradication de l’extrême pauvreté. D’ailleurs, je me suis exprimé un peu plus tôt dans la journée à Bruxelles dans le cadre d’une grande conférence sur «La protection sociale dans le programme de développement pour l’après 2015» aux côtés du ministre de la Coopération au développement, M. de Croo, et de la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Mme de Block.

Les compétences techniques et professionnelles font l’objet de trois cibles au titre de l’objectif sur l’éducation. Les autres références ont trait aux travailleurs ruraux, à l’industrialisation, aux travailleurs des secteurs de la santé et de l’éducation, au travail domestique et de soins non rémunéré, aux travailleurs migrants, aux petites et moyennes entreprises dans les chaînes de valeur, à la résistance aux dangers liés au changement climatique, aux crises économiques et sociales et aux catastrophes environnementales, aux discriminations et aux libertés fondamentales.

Dans une très large mesure, les gouvernements au sein des Nations Unies estiment que l’agenda de l’OIT pour le travail décent est un élément déterminant du cadre général de développement durable.

L’OIT – à la fois le Bureau et les mandants tripartites – ont travaillé dur pour obtenir cette reconnaissance, mais il est clair qu’un des facteurs majeurs qui pèse sur les gouvernements, c’est la crise chronique de l’emploi à l’échelle mondiale.

Dès lors, je crois qu’il est bon que nous commencions à réfléchir sérieusement et rapidement à la forte probabilité que l’ONU adopte un programme de transformation ambitieux, complet et universel pour parvenir à un développement durable à l’échelle mondiale d’ici à 2030. C’est une quête que chacun d’entre vous ici présent et beaucoup d’autres internationalistes convaincus du monde entier ont poursuivie depuis de nombreuses années. D’aucuns diront qu’il s’agit là d’une chance réelle pour notre monde, peut-être la dernière chance!

Si l’on se projette vers l’avenir, le nouveau cadre, ce n’est pas «les Objectifs du Millénaire pour le développement, type 2». Ces OMD ont permis de grandes réalisations mais ils étaient le produit de leur époque – et les temps ont changé. Les OMD furent en grande partie créés pour permettre aux pays donateurs de démontrer à des électeurs souvent sceptiques que l’argent de l’aide était effectivement consacré à réduire la pauvreté. Cet objectif se justifie pleinement mais il situe les OMD dans une relation d’aide Nord-Sud plutôt que dans un programme commun mondial.

Le nouveau cadre sera un document beaucoup plus politique que les pays devront utiliser pour élaborer leur propre stratégie nationale de développement durable de manière à s’inscrire dans une stratégie globale où le tout dépasse la somme de parties.

Le Secrétaire général de l’ONU a suggéré que le nouveau cadre devienne un contrat social mondial qui relie les peuples et les gouvernements des Nations Unies. Ce serait la façon idéale de célébrer le 70e anniversaire de l’adoption de la Charte des Nations Unies et de reconnecter le système multilatéral aux craintes et aux espoirs quotidiens des femmes, des hommes, des familles et des populations.

Le ciment politique d’un tel contrat social à l’échelle mondiale est assurément le travail décent. Mais à l’heure actuelle l’économie mondiale ouverte ne crée pas les emplois dont les gens ont besoin, tant sur le plan qualitatif que quantitatif.

Pour rester en phase avec la croissance de la main-d’œuvre mondiale et ramener le chômage au niveau d’avant la crise, plus de 600 millions de nouveaux emplois devront être créés d’ici à 2030 – soit 40 millions par an.

Réduire l’écart de taux d’activité entre hommes et femmes, disons de 25 pour cent d’ici à 2030, suppose de créer 200 millions d’emplois supplémentaires.

Et 780 millions d’hommes et de femmes travaillent dur et souvent beaucoup, sans parvenir pour autant à se hisser eux et leur famille au-dessus du seuil de pauvreté de 2 $ par jour.

Les chiffres sont colossaux. Mais si l’on ne relève pas le défi de créer chaque année et pour quinze ans 40 à 50 millions de nouveaux emplois décents, et d’améliorer le sort de 40 à 50 millions de travailleurs pauvres, les répercussions seront encore plus dommageables sur le plan économique, social et environnemental, et seront désastreuses sur le plan politique.

Inverser la tendance qui prévaut actuellement sur les marchés du travail et fixer une orientation pour réaliser les Objectifs de développement durable d’ici à 2030 est indispensable si l’on veut enclencher la dynamique politique et la coopération nécessaire pour tenir la promesse de l’ensemble du programme.

Nous devons donc nous assurer que la mise en œuvre du nouveau programme permettra de former et de maintenir un vaste consensus politique en faveur d’une action durable, au plan national et international.

La composition tripartite de l’OIT peut et doit être la force motrice de cette évolution massive à long terme pour transformer le processus de développement mondial à l’échelle nationale, grâce à un esprit de solidarité internationale renouvelé.

L’OIT se prépare activement à cette nouvelle coopération. Nous mettons l’accent sur le renforcement de nos capacités à travailler avec les pays au sein d’une équipe de l’ONU répondant aux priorités nationales dans ce nouveau cadre mondial.

L’OIT est relativement bien dotée en outils consultatifs pour élaborer des politiques reposant sur des données concrètes, même si l’on peut toujours s’améliorer. La clé, c’est d’être à l’écoute des gouvernements et de leurs partenaires sociaux, d’apporter ce savoir aux équipes par pays de l’ONU et de l’intégrer aux conseils des autres agences spécialisées pour former des partenariats nationaux dynamiques au service du développement durable.

La capacité de notre Organisation à saisir les occasions offertes par ce nouveau programme de développement dépend en grande partie de l’engagement actif des organes tripartites, à l’instar de ce Conseil, pour en formuler le suivi et en garantir l’application au niveau national et international. Le monde du travail n’est pas seulement façonné par les gouvernements et les législations adoptées par les parlements mais aussi, et peut-être surtout, par les partenaires sociaux à partir du lieu de travail.

Pour terminer, je souhaite vous remercier pour votre soutien dans la défense du travail décent, et de la protection sociale en particulier, comme élément central du nouveau programme de développement durable. Mais le plus dur reste à faire.

Le défi mondial du travail décent est immense et l’OIT et ses membres tripartites ont l’occasion d’initier le mouvement pour transformer radicalement la vie professionnelle en vue d’éradiquer la pauvreté dans un processus de développement durable. Votre soutien indéfectible à l’OIT sera décisif.

Merci.