Migration de main-d'œuvre en Afrique

La migration de la main d’œuvre en Afrique est en grande partie intra régionale (80%) et se caractérise principalement par la migration de travailleurs peu qualifiés. La consolidation d'importants corridors migratoires Sud-Sud vers les marchés du travail voisins, dans la recherche d'un emploi et de meilleurs salaires, revêt une grande importance dans la région. En effet, aujourd'hui, peu de pays africains ne participent pas aux flux migratoires, que ce soit en tant que pays d'origine, de transit ou de destination. La demande dans les secteurs économiques tels que l'agriculture, la pêche, les mines et la construction ainsi que des services tels que le travail domestique, les soins de santé, le nettoyage, les restaurants et les hôtels, ainsi que le commerce de détail sont des moteurs importants sur le continent. Les migrants africains, les demandeurs d'asile et les personnes déplacées de force empruntent souvent les mêmes voies de migration. Les couloirs interrégionaux en croissance vers les pays du Moyen-Orient et du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ainsi que les flux plus traditionnels en direction de l'Europe et de l'Amérique du Nord méritent d'être signalés.

La stratégie de l'Organisation internationale du travail (OIT) en matière de migration de travail dans la région africaine est guidée par ses Normes internationales du travail et son Agenda pour le travail décent et est mise en œuvre en étroite collaboration avec les Acteurs du monde du travail (Ministères du Travail et des organisations d’employeurs et de travailleurs des 54 pays africains). L’approche de l’OIT fondée sur les droits prend en compte les besoins du marché du travail et couvre tous les travailleurs migrants, quelque soient leur nationalité, leur niveau de compétence et leur statut migratoire.

Les travaux de l'OIT sur les migrations de main-d'œuvre contribuent au Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières adopté en décembre 2018 et sont conformes aux engagements du Programme de développement durable à l'horizon 2030, en particulier en ce qui concerne les aspects liés aux migrations: l'ODD 8 vise à « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagé et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous» (en particulier la cible 8.8: Défendre les droits des travailleurs, promouvoir la sécurité sur le lieu de travail et assurer la protection de tous les travailleurs, y compris les migrants, en particulier les femmes, et ceux qui ont un emploi précaire); et l'ODD 10 sur la réduction des inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre (la cible 10.7 de l'ODD: Faciliter la migration et la mobilité de façon ordonnée, sûre, régulière et responsable, notamment par la mise en oeuvre de politiques migratoires planifiées et bien gérées). Les travaux comprennent également un appui à la mise en œuvre par les mandants du nouveau document des Nations Unies d'orientation relatif à la mobilité pour l'aide au développement (UNDAF).

Les travaux de l’OIT sont largement inspirés par l’Agenda 2063 de l’Afrique (en particulier les Aspirations 1 et 2 et les stratégies continentales et nationales connexes); la Déclaration de 2014 de la Commission de l'Union africaine (CUA) « Ouagadougou + 10 sur l'emploi, l'éradication de la pauvreté et le développement inclusif en Afrique » (notamment le domaine prioritaire numéro 5: migration de travail et intégration économique régionale) et son programme d'action prioritaire quinquennal ; le Cadre de politique migratoire révisé de l'UA pour l'Afrique et le Plan d'action 2018-2030 (principalement 2.1 Politiques, structures et législation nationales en matière de migration de main-d'œuvre, et 2.2 Coopération régionale et harmonisation des politiques de migration de main-d'œuvre); ainsi que le Protocole de l'UA sur la libre circulation des personnes (en particulier ses dispositions relatives à la migration de travail et à la mobilité).

Les travaux de l’OIT comprennent la promotion de politiques de migration de la main-d’œuvre fondées sur des données précises et une analyse approfondie de l’offre et de la demande de main-d’œuvre étrangère (besoins existants et potentiels du marché du travail) jugées bénéfiques pour l’économie et le développement des pays d’origine et de destination. Le travail devrait être fondé sur des objectifs de développement à long terme sur les plans social et économique, tout en laissant une certaine marge de manœuvre permettant de répondre aux demandes à court terme.

Le travail du BIT sur les migrations et la mobilité de la main-d’œuvre est donc étroitement coordonné avec ses Equipes techniques du Travail décent (spécialistes du dialogue social, de l’emploi et des compétences, de la protection sociale et des normes) et exploite son expertise technique en matière de gouvernance du marché du travail. L'OIT encourage ainsi l’obtention des résultats aux niveaux local, national, sous régional, régional et interrégional. Plus particulièrement, le travail de l’OIT vise à obtenir une migration de main-d’œuvre juste et un travail décent pour tous les travailleurs migrants.

Depuis 2014, l'OIT collabore étroitement avec la Commission de l'Union africaine (CUA), la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour élaborer un Programme conjoint sur la gouvernance des migrations de main-d'œuvre au service du développement et de l'intégration (JLMP) en Afrique. Le JLMP représente un vaste cadre dans lequel ancrer la plupart des travaux sur les migrations de main-d’œuvre dans la région, en particulier en soutenant les communautés économiques régionales africaines. Le JLMP a été adopté par les chefs d'État et de gouvernement africains lors de la 24e session ordinaire de la Conférence de l'UA en janvier 2015. Le JLMP a pour objectif principal: de parvenir à une meilleure gouvernance de la mobilité de la main-d'œuvre et des compétences en Afrique (en particulier les Communautés Economiques Régionales). Il vise à faciliter la libre circulation des travailleurs en tant que moyen essentiel de faire progresser l'intégration régionale et le développement en Afrique. L'OIT met directement en œuvre ou contribue à la mise en œuvre du JLMP, notamment par le biais de deux projets principaux sur le continent:

a) Le projet UA-OIM-OIT JLMP-Priority (financé par l'Agence suédoise de coopération pour le développement international (ASDI)) et qui a pour objectif principal de contribuer à améliorer la gouvernance en matière de migration de la main-d'œuvre afin de réaliser une migration sûre, ordonnée et régulière en Afrique comme mentionnées dans les cadres pertinents de l'Union africaine (UA) et des communautés économiques régionales (CER), ainsi que dans les Conventions de droits de l'homme et les normes internationales du travail et d'autres processus de coopération pertinents;

b) Le projet «Étendre l'accès à la protection sociale et la transférabilité des bénéfices de la sécurité sociale aux travailleurs migrants et à leurs familles dans certaines CER en Afrique» (financé par le Mécanisme de dialogue panafricain sur la migration et la mobilité (MMD) de l'UE), dont l'objectif principal est d'étendre la protection sociale aux travailleurs migrants (y compris ceux du secteur informel), en renforçant les capacités des communautés économiques régionales (travaillant principalement avec la CAE, la CEDEAO et la SADC) à fournir ainsi que de diriger la mise en œuvre de cadres régionaux pour l'extension de la protection sociale aux travailleurs migrants et leurs familles.

Il est également important de mentionner que l’un des domaines de travail complémentaires les plus importants de l’OIT est la promotion de politiques de l’emploi riches en emplois et du travail décent pour lutter contre les causes profondes de la migration. Les perspectives économiques pour l'Afrique devraient s'améliorer et la croissance devrait atteindre 3,7% en 2017, contre 2,1% en 2016 (rapport WESO de l'OIT 2018). Bien que la croissance doive reprendre progressivement et augmenter dans la région, elle restera toujours en deçà du niveau nécessaire pour relever efficacement les défis sociaux et du marché du travail en Afrique, notamment le manque de création d’emplois, le sous-emploi et la qualité du travail. Le chômage des jeunes est et restera un défi majeur à relever. Les autres facteurs importants liés à la migration comprennent: la pression démographique, l’instabilité politique, la pauvreté extrême, les inégalités de revenus importantes, le conflit militaire, le terrorisme, la corruption, le non-respect de la loi, la mauvaise gouvernance et la dégradation de l’environnement causant sécheresses, déforestation, etc.

Le rapport 2015 de l'Union africaine sur les Statistiques des migrations de main-d'œuvre en Afrique a mis en évidence le fait que la migration internationale en Afrique concerne principalement les communautés économiques régionales (CER) et que le taux d'activité des migrants internationaux en Afrique semble être supérieur à celui de la population en général. Le taux le plus haut était enregistré en Maurice (93,3% ) au plus bas (71,7%) pour le Ghana. Le rapport régional de l’UA indique également que la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) enregistre le taux de migration internationale le plus élevé (2,2%), suivi de près par la CEDEAO, la CENSAD et l’IGAD (2,1%, 1,6% et 1,2%).

Des études et des données d’experts montrent que la migration, en particulier la migration de la main-d’œuvre, est un catalyseur et un bénéficiaire important de l’intégration régionale et du développement économique en Afrique. Par exemple, les principales conclusions d’une étude récente de l’OIT et de l’OCDE sur les effets de l’immigration sur les économies des pays en développement montrent que:
  • Les migrants peuvent avoir un impact positif sur la croissance économique. Les conclusions de l’étude indiquent qu’il est peu probable que l’immigration globale déprime le produit intérieur brut (PIB) par habitant, bien au contraire. Dans certains pays, la contribution estimée des immigrants au PIB pourrait atteindre jusqu’à 19% comme en Côte d’Ivoire.
  • Les immigrants peuvent également créer des opportunités d’emploi supplémentaires pour les travailleurs nés dans le pays. Dans l’ensemble, en Afrique du Sud, l’étude montre que les migrants récemment arrivés représentent un impact positif sur les taux d’emploi et les salaires mensuels des personnes nées dans le pays, ainsi qu’une diminution des taux de chômage.
  • Parallèlement, lorsque les travailleurs migrants sont employés dans l'économie formelle, leur emploi peut avoir un effet positif sur les finances publiques. Au Ghana, la contribution des immigrants au solde budgétaire de l’État est supérieure à celle de la population née dans le pays (par habitant). En outre, en Afrique du Sud, les immigrants ont un impact net positif sur le solde budgétaire du gouvernement.
Cependant, la contribution des migrants à l’économie dépend de leur emploi et de leurs conditions de travail. Ainsi, les mesures spécifiques visant à lutter contre l'exploitation, les abus et la discrimination sur le marché du travail et sur le lieu de travail devraient être découragées. La vraie question n'est pas de savoir comment arrêter la migration, mais comment l'intégrer dans la stratégie de développement économique et social africain nationale, sous régionale et continentale. Cela implique de renforcer les institutions du marché du travail afin de mieux gérer la mobilité intra régionale de la main-d'œuvre, de promouvoir des processus de recrutement équitables, d'étendre la protection sociale aux travailleurs migrants et à leurs familles, de s'attaquer aux causes profondes de la migration dans certaines zones touchées par le changement climatique, de développer la concertation sociale et la coopération internationale sur la gouvernance des migrations de main-d'œuvre et l'amélioration de la reconnaissance et de la transférabilité des compétences.

Maximiser les avantages de la migration de travail pour les travailleurs migrants et leurs familles, ainsi que minimiser ses risques et ses coûts sociaux nécessite une gouvernance juste et efficace de la migration de travail. Une migration de main-d'œuvre bien gouvernée peut contribuer au développement durable des pays d'origine, de transit et de destination, et peut offrir des avantages et des opportunités aux travailleurs migrants et à leurs familles. Il peut équilibrer l'offre et la demande de main-d'œuvre, contribuer au développement et au transfert de compétences à tous les niveaux, contribuer aux systèmes de protection sociale, favoriser l'innovation et enrichir les communautés sur les plans culturel et social. Au contraire, une migration de travail mal gouvernée peut engendrer des risques et des défis, y compris pour le développement durable et le travail décent, dans les pays d'origine, de transit et de destination, en particulier pour les travailleurs à bas salaire. Ces risques peuvent inclure l'insécurité et l'informalité, la fuite des cerveaux, les déplacements, le risque accru de travail des enfants, la servitude pour dettes, le travail forcé, la traite des êtres humains, des risques pour la sécurité et la santé et d'autres déficits de travail décent. Dans certains cas, certains de ces risques ont des conséquences mortelles. Le racisme, la xénophobie et la discrimination, les idées fausses et la désinformation s'ajoutent aux problèmes de fragilité généraux auxquels les travailleurs migrants peuvent être confrontés au cours de leur expérience de migration de travail.

Globalement, tirer le meilleur parti de la migration de main-d’œuvre suppose d’élaborer une stratégie globale qui tienne compte des besoins à court et à long terme du marché du travail des travailleurs migrants à tous les niveaux de compétences et leur fournit la protection sociale et la protection nécessaire dans le marché de travail. Ne pas le faire affecte négativement la productivité et la compétitivité et peut contribuer à la segmentation des marchés du travail.