Conférence Internationale du Travail

CIT 2022: Quels défis et opportunités pour les travailleurs?

Vice-présidente (Travailleurs) de la 110e session de la Conférence internationale du Travail, Paola del Carmen Egusquiza Granda (Pérou), évoque les défis qui se présentent et les opportunités qui sont offertes à l’occasion de cette réunion hybride. Dans le contexte actuel de reprise fragile après la pandémie de COVID-19, Mme Granda parle du rôle des syndicats afin de répondre aux préoccupations face aux crises qui émergent en matière énergétique, de financement et dans le domaine financier.

Actualité | 6 juin 2022
Paola del Carmen Egusquiza Granda
Vice-présidente de la CIT 2022

ACTRAV INFO: La 110e session de la Conférence internationale du Travail (CIT) a lieu dans le contexte d’une reprise fragile après la pandémie de COVID-19, alors qu’apparaissent de nouvelles inquiétudes concernant une série de crises imminentes dans le domaine de l’énergie, de l’alimentation et en matière financière. Comment cette situation va-t-elle se traduire sur la réalité à laquelle doivent faire face les travailleurs et les syndicats? A quels nouveaux défis le monde syndical va-t-il être confronté mais aussi quelles opportunités vont-elles s’offrir?

Au fil du temps, le monde du travail a évolué et il s’est transformé en raison de mutations enregistrées dans le domaine technologique, dans l’organisation du travail, dans les relations sociales que cela sous-entend ainsi que dans le contexte politique et économique. Du point de vue des syndicats, nous estimons que tous les partenaires sociaux doivent gérer ces évolutions en faisant véritablement preuve de bonne foi afin de respecter les droits des travailleurs et que leurs actions doivent être redirigées pour aller vers davantage d’égalité et de justice sociale, cela à travers un engagement tripartite au niveau national et au niveau international.

Aussi bien le COVID-19 que les autres crises ont clairement touché les travailleurs et donc aussi les syndicats, les plus affectés étant les travailleurs du secteur de la santé, les travailleurs de première ligne, ceux évoluant au sein de l’économie informelle, les femmes, les jeunes, les travailleurs migrants, les réfugiés et les personnes en situation de handicap.

Face à cette situation, le véritable problème ne se situe pas au niveau des moteurs du changement eux-mêmes mais c’est de savoir comment agir et résoudre les difficultés. Les syndicats doivent considérer la crise comme un coup de semonce afin de les aider à mieux reconstruire, pour aller de l’avant et pour faire avancer les programmes sociaux et en matière de travail. Pour parvenir à ces objectifs, il faut que les travailleurs syndiqués participent activement à la conception des politiques publiques et négocient des accords concernant des conventions collectives visant à promouvoir les droits fondamentaux, un salaire minimum décent, la protection sociale ainsi que la sécurité et la santé au travail. L’agenda défendu par les syndicats visant à davantage de résilience dans un contexte de crise et lors de la reprise doit avoir pour but de contribuer à renforcer le dialogue social, l’éducation et la formation des travailleurs, l’augmentation du nombre d’adhérents, la fourniture d’un plus grand nombre de services, l’élargissement de nos partenariats avec d’autres organisations, étant donné le fait que mieux reconstruire dans l’avenir exige des réponses aux niveaux national, régional et mondial, en se basant sur un dialogue social efficace et des relations de travail saines.

ACTRAV INFO: Au programme de cette Conférence, figure une discussion sur l’inclusion d’un environnement de travail sûr et sain au sein des principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT. Pourquoi cette discussion revêt-elle un caractère important pour les travailleurs?

Lorsque les travailleurs investissent toute leur énergie dans leur travail, ils mettent en jeu leur intégrité physique, mentale et psychologique afin de mener à bien leur tâche. Dans certains cas, c’est une chose tout à fait évidente pour les métiers qui nécessitent de la force physique comme les marins, les ouvriers du bâtiment, les travailleurs agricoles, etc. Mais dans d’autres cas, l’exposition du corps est moins visible, même s’il n’en est pas moins important: je fais référence à la fréquence des maladies professionnelles (tendinites, etc.), ou aux accidents du travail subis par des personnes effectuant un travail domestique. Plus récemment cependant, nous avons constaté une augmentation de l’importance des effets physiques et psychologiques au niveau des relations interpersonnelles au travail, par exemple entrainés par des faits de harcèlement et de violence.

Il faut donc établir une différence cruciale entre la contribution de chaque partie prenante au sein d’une relation de travail: l’employeur met en jeu son capital mais le travailleur met en jeu sa sécurité et sa santé.

Il faut donc considérer l’existence d’un environnement de travail sûr et sain comme faisant partie des principes et droits fondamentaux, en le plaçant au même niveau que les autres principes et droits fondamentaux reconnus dans la Déclaration de 1998.

Cela permettra d’inclure tous les travailleurs évoluant au sein de l’économie informelle, en situation de précarité, au sein du travail domestique et exerçant leur activité professionnelle en dehors d’une relation traditionnelle d’emploi. Cela constitue également un premier pas visant à promouvoir la ratification de la convention (n°155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981 et du Protocole qui lui est associé.

ACTRAV INFO: Qu’attendez-vous de cette session de la Conférence?

Il s’agit d’une réunion très importante pour plusieurs raisons. Je suis très fière et heureuse de pouvoir contribuer activement à une issue positive.
D’abord, c’est le retour de réunions en présentiel – malgré quelques limites – arrivant après des années très difficiles pendant lesquelles la Conférence a été suspendue ou a eu lieu à distance en raison de la pandémie de COVID-19.

Deuxièmement, l’OIT vient d’achever avec succès le processus conduisant à la désignation d’un nouveau Directeur général, avec une ouverture significative vers le continent africain et dans un contexte de transition durant lequel la collaboration tripartite a été considérable. Bien entendu, j’estime qu’il s’agit de la fin d’une période historique pour les travailleurs, le mandat du Directeur général, Guy Ryder, arrivant à son terme, ce dernier étant issu du groupe des Travailleurs.

Troisièmement, les thèmes sur lesquels la Conférence se penche sont d’un grand intérêt, le droit à un environnement de travail sûr et sain étant pressenti pour intégrer les principes et droits fondamentaux au travail. La réunion inclut aussi une discussion sur la question de l’économie sociale et solidaire, qui est étroitement liée à l’origine même de l’OIT et aux efforts entrepris par des personnes de bords différents pour aboutir à la justice sociale en tant qu’élément essentiel pour assurer la paix, sans considérer le travail comme une marchandise, comme le précisent nos textes fondateurs. La question de l’apprentissage est également considérée comme essentielle afin d’améliorer les capacités des personnes face aux exigences de l’organisation du travail et l’utilisation de technologies et en tant que facteur d’aptitude à l’emploi. Enfin, je dois mentionner la nécessité de traiter la question des soins, qui est vitale au développement, à la protection et à l’égalité entre les personnes.