Commission Protection Sociale: Discours de Mme Helen Kelly(travailleuse, Nouvelle-Zélande; vice-présidente travailleuse de la Commission pour la discussion récurrente sur la protection sociale)

Déclaration | Genève | 17 juin 2011

C’est un grand honneur pour moi de m’exprimer au nom du groupe des travailleurs sur les travaux menés par notre commission pendant ces deux dernières semaines. Nous pouvons témoigner d’un solide consensus sur l’avenir de la protection sociale qui s’est dégagé grâce à un véritable esprit de tripartisme.

Le nom officiel de notre commission était: «Commission pour la discussion récurrente sur la protection sociale». Il est probable que seules quelques personnes bien informées du BIT savent ce qu’est une discussion récurrente. Je vais expliquer de quoi il s’agit pour les membres de mon groupe qui ne sont pas ici. Nous avions pour tâche de débattre des problèmes que pose la mise en place d’une protection sociale pour tous; de rechercher des solutions; d’examiner la manière dont les politiques de protection sociale peuvent contribuer à créer des emplois et inversement, et de réfléchir à ce que peuvent faire les Etats Membres et le Bureau pour progresser sur cette question.

Depuis l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme en 1948, la sécurité sociale est un droit humain reconnu. Mais, plus de soixante ans plus tard, 5 milliards de personnes dans le monde ne bénéficient pas d’une sécurité sociale adéquate, 5 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année à cause de la pauvreté, et 150 000 mères meurent chaque année en Afrique, parce qu’elles ne peuvent pas bénéficier d’une protection de la maternité et accéder aux soins de santé essentiels.

Le monde est trop riche pour accepter tranquillement ce type de chiffre. Le groupe des travailleurs, mais aussi, j’en suis sûre, la commission dans son ensemble, ont véritablement senti que l’heure était venue de transformer en une réalité universelle les aspirations universelles contenues dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Déclaration de Philadelphie.

Les exemples positifs d’extension de la sécurité sociale, très encourageants, qu’ont présentés beaucoup de pays en développement pendant nos discussions sont la preuve indéniable que nous pouvons faire beaucoup en peu de temps. Il est possible de changer véritablement la vie de millions de personnes, même de celles qui n’ont pas beaucoup de ressources.

Imaginez ce que cela veut dire pour les parents d’avoir la certitude que leurs enfants n’auront pas faim et qu’ils pourront aller à l’école. Imaginez ce que cela veut dire d’avoir au moins une retraite de base garantie, lorsque vous atteignez l’âge de la retraite; de pouvoir bénéficier de soins médicaux, lorsque vous êtes malade. Imaginez ce que cela représente, si vous êtes au chômage, de savoir que vous n’aurez pas faim et que vous ne sombrerez pas dans le désespoir.

En tant que commission, nous avons réaffirmé, dans nos débats, le rôle fondamental que peut et doit jouer la protection sociale pour sortir les gens de la pauvreté et pour réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement. Nous sommes convaincus qu’un socle de protection sociale pour tous n’est plus un rêve lointain, mais qu’on peut le mettre en place. La protection sociale est un instrument efficace pour protéger les plus faibles dans nos sociétés, réduire les inégalités, assurer un développement durable, construire des sociétés inclusives et enfin, assurer la liberté, la dignité et l’égalité des chances pour tous.

Aucune société ne peut se développer et prospérer sans solidarité et sans équité. Au lieu que ce soit «le gagnant qui rafle tout», «c’est nous tous, ensemble, qui allons gagner»; tel devrait être notre principe directeur.

S’il est vrai que la solidarité est indispensable dans les pays, elle l’est également, de plus en plus, entre toutes les nations du monde. Nul n’a le droit de fermer les yeux face à la pauvreté, simplement parce elle ne touche pas son propre pays. Lorsqu’un pays est trop pauvre pour assurer au moins un socle de protection sociale, le soutien de la communauté internationale est indispensable, dans un premier temps, pour l’aider à se doter d’un socle de protection sociale durable.

L’OIT est l’organisation qui conduit le débat mondial sur l’extension de la sécurité sociale. Aucune autre institution, dans le monde, n’a le mandat et la capacité d’élaborer des normes internationales du travail et de fournir des orientations aux gouvernements; d’instaurer une approche de la sécurité sociale fondée sur des droits; et d’établir un climat de confiance mutuelle entre les nations afin que les efforts visant à améliorer le bien-être des gens ne soient pas fragilisés par le dumping social.

Nous avons décidé, à l’unanimité, de demander la tenue d’une simple discussion sur une recommandation relative au socle social en 2012. Nous espérons que cette recommandation permettra de fonder sur une base solide les principes de la sécurité sociale, les garanties du socle de protection sociale, l’application de ce socle et le suivi des progrès, et d’établir un calendrier pour réaliser progressivement une couverture complète.

Nous attendons aussi des orientations sur le financement, la conception et les méthodes qui nous permettront d’atteindre ces objectifs. Ces derniers varieront selon les pays et dépendront de la situation nationale. Il n’est pas nécessaire d’être trop rigide quant aux modalités. Les milliards de pauvres ne se soucient pas de la manière dont cela se fera; ce qui compte pour eux, c’est d’obtenir le droit à la sécurité sociale, la sécurité d’un revenu minimal et l’accès aux soins de santé essentiels.

Notre commission compte sur le socle de protection sociale pour nous amener à élaborer des dispositions sur des systèmes de sécurité sociale complets, comme cela est indiqué dans les conventions actualisées de l’OIT sur la sécurité sociale. Nous sommes d’accord sur ce nouveau concept, l’importance égale des dimensions horizontale et verticale de la protection sociale.

L’extension horizontale doit offrir au moins une protection minimale à tous, dès que possible, et assurer la sécurité d’un revenu minimum et l’accès aux soins de santé essentiels. L’extension verticale protègera les individus de la pauvreté et garantira un revenu de substitution en cas de chômage ou de maladie, pendant la vieillesse et pour d’autres risques définis dans la convention (nº 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952.

La sécurité sociale complète est indispensable pour construire et préserver des sociétés inclusives; des sociétés où les travailleurs ne sombrent pas dans la pauvreté, eux et leur famille, lorsqu’ils perdent leur emploi, tombent malades ou arrivent à l’âge de la retraite. La protection sociale, c’est la solidarité et une sécurité qui permet aux travailleurs de devenir indépendants et d’être des citoyens confiants dans l’avenir. Elle est indispensable dans une société démocratique qui fonctionne bien.

Notre commission a reconnu que la convention (nº 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, est la convention de l’OIT qui établit la norme minimale pour des systèmes de sécurité sociale complets. Il est très encourageant de constater qu’un certain nombre d’Etats Membres ont ratifiée cette convention historique, ces dernières années, et nous appelons les gouvernements à envisager sa ratification et sa mise en œuvre. Nous demandons aussi aux gouvernements de ne pas examiner les raisons qu’ils auraient de ne pas la ratifier, mais de se pencher sur des solutions pour surmonter les obstacles à la ratification.

L’étude d’ensemble sur la sécurité sociale qui a été présentée à cette session de la Conférence souligne la nécessité d’une formulation non sexiste dans cette convention; elle a aussi exposé un certain nombre de propositions pragmatiques à cet égard. Nous tenons beaucoup à ce que ces problèmes soient examinés, et je suis certaine que, dans un es prit de tripartisme, nous trouverons rapidement une solution.

Il ne fait aucun doute que l’extension de la sécurité sociale rencontrera de nombreux obstacles: le passage de l’emploi informel à l’emploi formel, l’augmentation de la précarité, notamment dans de nombreux pays industrialisés, la nécessité d’élargir l’assiette fiscale et d’assurer une imposition progressive pour financer la sécurité sociale pour tous; les taux de chômage élevés, en particulier chez les jeunes, dans beaucoup de sociétés et l’évolution démographique. Autant de problèmes qui nécessitent des mesures décisives. Mais les travaux du Bureau et nos discussions ont montré que ces obstacles ne sont pas insurmontables, qu’ils sont même gérables et que nous devons établir des priorités dans l’élaboration des politiques.

Je viens d’écouter ce que M. Barde vous a dit au nom des employeurs, et il est clair que, en tant que groupe des travailleurs, nous rejetons les mesures d’austérité et de privatisation qui sont prises actuellement dans les pays face à la crise mondiale. Comme on l’a vu, ces méthodes ont échoué. Elles ont échoué dans le passé, elles contribuent à l’inégalité et sont socialement inacceptables. Elles ne sont pas la seule riposte possible, et les conclusions de notre rapport préconisent d’autres approches. La protection sociale, en tant qu’approche fondée sur des droits, où l’égalité est un indicateur aussi important que d’autres, est clairement mise en évidence dans notre rapport, qui démontre par ailleurs que la protection sociale contribue à la force d’une économie.

La définition des priorités politiques dépend largement de l’équilibre des forces dans la société. Il est donc extrêmement important de faire en sorte que les travailleurs ordinaires puissent s’organiser et représenter collectivement leurs intérêts. Le plein respect et la promotion des droits de liberté syndicale et de négociation collective sont indispensables si nous voulons progresser.

La meilleure façon de parvenir au progrès social est d’avoir des organisations de travailleurs fortes, qui sont des partenaires respectés des gouvernements et des employeurs. C’était vrai dans le passé, cela le reste aujourd’hui et cela le sera demain.

Mahatma Gandhi a résumé les difficultés auxquelles nous sommes confrontés par cette phrase: «Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité.»

Il ressort des discussions de notre commission que si nous ne partageons pas les fruits de la réussite économique et de la croissance de la productivité, nous ne pourrons pas progresser. En fait, le partage de la richesse est indispensable pour une croissance soutenue de la productivité. C’est l’interaction entre les politiques sociales, budgétaires, financières et de l’emploi, qui permet d’assurer une croissance durable. La sécurité sociale doit faire partie d’un vaste ensemble de mesures. C’est la voie que préconisent l’Agenda du travail décent et la Déclaration sur la justice sociale pour aller de l’avant.

La Déclaration sur la justice sociale appelle les Etats Membres, les organisations d’employeurs et les organisations de travailleurs ainsi que le Bureau à œuvrer ensemble à la promotion des valeurs de l’Organisation. Notre travail était un véritable exemple de collaboration. Je remercie les gouvernements et nos collègues employeurs, y compris leur vice-président, M. Barde, pour leurs efforts. Je tiens aussi à remercier notre Président, grâce auquel les travaux de la commission ont bien avancé, dans un environnement très amical. Mes remerciements vont également au Bureau, M. Diop, M. Cichon et leur formidable équipe. Tous ont fait preuve d’un enthousiasme et d’un professionnalisme remarquables au service de notre commission et de la cause de la justice sociale.

J’aimerais aussi remercier mes collègues, y compris ceux qui ont assumé la tâche difficile dévolue au comité de rédaction. Notre commission a fait preuve d’un engagement sans faille durant tout le processus, tous les membres du groupe ont fait un travail exemplaire et je tiens à les en remercier très sincèrement.

A cette 100e session de la Conférence internationale du Travail, nous avons envoyé un message très fort: l’extension horizontale et verticale de la sécurité sociale est un pilier essentiel du développement durable. Elle est nécessaire, elle est possible et nous pouvons la réaliser. Le consensus que nous venons d’atteindre à Genève est une invitation lancée à tous les groupes et à toutes les sociétés, en particulier au système multilatéral pour qu’ils unissent leurs forces afin de construire des systèmes de sécurité sociale complets et de mettre un terme à la pauvreté.